Citations sur Le Grand Soir (13)
( *** mort de Louise Michel )
Elle avait la peau dure, la Louve ! L'autre salaud de chouan lui avait collé une balle dans la tronche qu'elle avait gardée en elle jusqu'au dernier jour.Cette femme était tellement bonne pour le peuple qu'ils en pleuraient de dévotion. C'était une héroïne, une sainte ! Même les hommes au cœur endurci avaient la moustache qui tremblait. En un jour, ils étaient tous devenus orphelins.
Il se dirigea vers le quartier de Charonne mais il n'y avait plus de trottoir, plus d'éclairage, plus d'eau courante, rien que des maisons serrées les unes contre les autres, branlantes, en ruine, et plus loin les cabanes en bois dotées d'un toit de tôle, occupées par les vagabonds, les clochards, tous les déchets de la société.
( p.46)
Les gens s'accommodent facilement de ce qu'ils ignorent.
Le jour de la manifestation, des milliers de soldats avaient assuré la sécurité de la ville en gardant les magasins, les banques et les bâtiments publics. Le préfet Lépine conduisait lui-même les opérations. Il n'aurait jamais laissé passer l'occasion d'une telle mise en scène de sa propre gloire. Des régiments de cuirassiers et de chasseurs à cheval bouclaient le quartier République. L'après-midi, les dragons tournaient en cercle sur la place, appliquant la technique du manège Mouquin, empêchant quiconque de s'y rassembler. Rue du Château-d'Eau, un barrage empêchait les ouvriers d'entrer à la Bourse du travail. Les plus véhéments se retrouvaient au poste. Des fantassins repoussèrent les cohortes d'ouvriers dans les rues adjacentes et le long du canal Saint-Martin. Des batailles eurent lieu autour du funiculaire de Belleville, qui fut renversé, mais ce fut à peu près tout. Des balcons de leurs immeubles haussmanniens, les bourgeois contemplaient les événements, friands des détails qu'ils observaient à l'aide de leurs petites jumelles. Ils montraient du doigt des échauffourées, hélaient les gendarmes pour dénoncer les ouvriers réfugiés derrière des portes cochères et applaudissaient quand une escouade poussait devant elle une poignée de prisonniers.
C’était chose habituelle, la trahison, propre à l’espèce humaine.
Tous les hommes s'accordaient pour les garder en bas de l'échelle, même les révolutionnaires qui voulaient changer le monde sauf une chose, immuable: que les femmes restent à leur place. Ils étaient vraiment irrécupérables.
- Le Grand Soir aura lieu quand les femmes seront libres, lui rétorqua Lucie.
Pelletier lui fourra dans les mains une poignée de tracts. C'était la première fois qu'elle lisait pareille littérature, décrivant les chaînes dont la société entravait les femmes: la famille, le mariage, la maternité, le patriarcat. Il n'existait pas d'autre solution que la révolte. Elle fut frappée par la vérité crue de ces mots dans lesquels elle se reconnaissait entièrement.
François avait juré de ne pas revenir à l'atelier le temps que la grève durerait, mais parfois, il reniait sa promesse car il avait besoin d'argent pour montrer à Suzanne qu'il s'inquiétait de leur foyer.Il existait un principe de réalité. Les preuves d'amour passaient par les achats d'un couple.Suzanne avait été folle de joie quand, après des mois d'économie, ils avaient acquis un bois de lit.Cela voulait dire quelque chose.C'était un symbole de leur union.
( p.44)
- Tu sais ce qu'on raconte, ajouta-t-elle, une balle dans le dos, c'est signé.
La plaisanterie avait couru au sein des grévistes. Une balle dans le dos ? Ce n'était pas la peine de chercher bien loin. Le coupable ne pouvait être qu'un flic! Mais était-ce vraiment une plaisanterie quand elle était proférée sur un ton indigné ? Et à force de la répéter, cette blague, on y croyait dur comme fer.
Une fois Lucie de retour au domaine, son oncle appela le médecin de famille, le docteur Lassalle, un homme elégant, aux cheveux argentés, vêtu d'un costume noir sur une chemise blanche impeccable, au col et aux manches immaculés, pour procéder à une visite de contrôle. Une nuit commencée chez les prolétaires et terminée en prison pouvait laisser des traces. Il lui posa des questions intimes sur un ton de parfaite neutralité et voulut ensuite approfondir l'examen. Elle prit la position habituelle, allongée sur le dos, les jambes écartées, tandis que l'homme dont elle voyait juste le sommet du crâne l'examinait à la recherche de contusions ou de tout autre indice révélant qu'elle avait perdu sa virginité. Quand il se releva, il adressa à Lucie un sourire qui la troubla, Qu'est-ce qu'il devinait d'elle à travers cette intrusion ? Que savait-il de sale qu'elle-même ignorait ?
- Vous êtes toujours intacte, Lucie, bravo! Quel soulagement pour Serge ! ll n'aurait pas aimé d devoir rendre des comptes à votre père. A votre ,la virginité est le bien le plus précieux. C'est votre petit capital.