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Critique de Arakasi


« Je m'appelle Zangra et je suis lieutenant.
Au fort de Belonzio qui domine la plaine.
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros ! »

Impossible de débuter la lecture du « Désert des Tartares » sans songer à la chanson de Jacques Brel, ce qui n'a rien d'étonnant puisque ladite chanson, « Zangra », a été directement inspirée du roman de Dino Buzzati. Voyez plutôt. Nous sommes au fort de Bastiani, citadelle délabrée et située en marge de toute civilisation. En face s'étend le désert des Tartares, immense étendue de pierre blanche où jadis rôdaient de terribles barbares mais où pas un signe de vie n'a été détecté depuis maintenant des siècles. Pourtant le fort est toujours là et la garnison attend. Qu'attend-elle ? Nul n'a l'air d'en être tout à fait sûr et surtout pas le lieutenant Giovanni Drogo, jeune officier tout droit débarqué de la ville et dans les rêves martiaux s'effritent peu à peu aux murailles poudreuses de Bastiani.

La vie au fort est si terne, le temps si long, les jours si gris… Alors pourquoi notre jeune lieutenant refuse-t-il sa mutation quand, après quatre pénibles mois de service, le médecin de la citadelle lui propose aimablement de le faire porter pâle pour retourner à la ville ? C'est que Drogo espère et que, tout au fond de lui, il sait. Il sait que, tôt ou tard, apparaitra sur l'étendue blanche du désert un petit point noir, que ce petit point noir grossira pour devenir une tache, puis cette tache deviendra une armée, une armée hurlante et grouillante qui s'abattra sur les murailles de Bastiani. Alors, Drogo se dressera, seul rempart entre la barbarie et la civilisation, il saura se battre et vaincre, et son nom rentrera pour toujours dans l'Histoire de son pays. Qu'importe quelques mois ou quelques années perdus, Drogo n'est-il pas encore jeune ? N'aura-t-il pas le temps, une fois sa gloire assurée, de goûter les plaisirs de la vie et de l'amour ? Regardez-le, notre beau lieutenant ! Regardez-le sur ses remparts, le manteau claquant sur ses épaules et le poing sur la hanche, magnifique et tragiquement inconscient, il attend l'ennemi qui le fera héros.

Ben, voilà, maintenant j'ai le cafard. Grand merci, monsieur Buzatti, vraiment ! C'est bien gentil de votre part d'écrire des chefs-d'oeuvre, mais pourquoi les faire si tristes, si sombres, si désabusés ? Pas besoin d'avoir la fibre militaire pour s'identifier au malheureux Drogo, tant son histoire est semblable à celles de millions d'autres hommes qui, dans l'attente d'un destin fabuleux mais incertain, laissent leur vie leur glisser entre les doigts. Qui que vous soyez, « le désert des Tartares » vous parlera et vous plombera le moral, car si nous ne pensons pas être des Drogos, nous craignons tous un peu de le devenir un jour… Superbement écrit et franchement désespérant.
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