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Critique de jlvlivres


« Pleines de grâce » de Gabriela Cabezón Cámara, traduit par Guillaume Contré (2020, Editions de l'Ogre, 201 p.) forme le premier volume de la « Trilogie Sombre » qui se poursuit par « Les Aventures de China Iron » (2021, Editions de l'Ogre, 256 p.) et ensuite « Romance de la Négresse Blonde ». Soit, dans la langue originale « La Virgen Cabeza », « Las Aventuras de la China Iron » et « Romance de la Negra Rubia » ou en anglais « Slum Virgin », « The Adventures of China Iron » et « Romance of the Black Blonde ». Une véritable épopée argentine, vite comparée au prestigieux « Martin Fierro ».
Auparavant, elle a publié une bande dessinée « Beya, le viste la cara a Dios » (Beya, t'as vu le visage de Dieu), illustrée par Iñaki Echeverría (2013). Histoire d'environ 150 pages, qui raconte à la seconde personne, l'histoire d'une fille piégée dans un réseau de traite. Beya en fait c'est une dame noble. Des journées de 15 heures à être battue, violée, droguée. Elle se fantasme une grossesse avec un cordon ombilical fait de barbelés. Elle s'observe en parvenant à sortir de son corps. Et ainsi à voir le visage de Dieu et parvenir à se racheter. Entre temps, une mention implicite à « La Belle au Bois Dormant ». Elle finira par aller dans un autre pays avec un faux passeport pour recommencer une autre vie.
« La Virgen Cabeza », titre traduit en « Pleine de Grâces », est le premier roman de Gabriela Cabezón Cámara. Qüity est une journaliste de Buenos Aires qui rencontre Cleopatra, travesti qui se prostituait jusqu'au jour où elle eue une apparition de la Vierge. D'où le fastueux projet de transformer le quartier d'El Paso où elle vit en une communauté plus qu'utopique. Pour commencer, les deux personnes installent la scène d'un opéra-cumbia baroque. le quasi sublime du projet confronté à l'ordure et au sordide. « La Vierge parlait comme une Espagnole médiévale et la journée commençait avec la première cumbia. Chacun articulait ce qu'il voulait dire dans sa propre syntaxe et c'est ainsi que nous avons construit la langue de cumbia pour raconter les histoires de chacun, j'ai entendu des histoires d'amour et de balles, de règlement de comptes et de sexe, cumbia joyeuse, cumbia triste et cumbia enragée toute la journée ».
Ce quartier d'El Paso n'est pas clair, en principe c'est un quartier assez central de la ville, énorme puisque de 15 millions d'habitants, divisée en 48 barrios, plus ou moins autonomes, répandus sur 200 km2, soit le double de Paris. le quartier s'étend jusqu'au Cimetière de la Recoleta, vaste espace où sont enterrés toutes les célébrités du pays, dans une débauche de chapelles, panthéons familiaux et caveaux spacieux, qui cohabitent avec des murs-caveaux du petit peuple. Une autre particularité de la ville consiste en librairies, récentes ou de livres d'occasion, chose qui n'existe pratiquement pas dans d'autres villes sud-américaines. C'est sans compter les cabarets et théâtres qui foisonnent, dont le renommé Café Tortoni sur l'Avenida de Mayo, où le dimanche après-midi, en sous-sol se produisent d'anciennes vedettes du chant et du théâtre. Anciennes vedettes, cela se voit et s'entend, mais qui croient encore aux miettes de leur gloire passée.
Donc dans ce barrio, Qüity est une fille hétérosexuelle dont le seul but est de se marier. Elle est enceinte de Cleopatra, un travesti, mais le petit-fils, Kevin, qui naitra, n'a pas vraiment de lien de sang avec ses mères. Cleopatra, qui a vu la Vierge en apparition, mène la révolte contre les autorités. Elle est atrocement brulée dans l'incendie des pauvres habitations. La vision de la Vierge va la transformer. « La Vierge m'a dit que Jéhovah lui avait dit que l'odeur de cette viande consumée par le feu l'avait apaisé. Et oui, Qüity, il est un peu féroce aussi ». Séjours en hôpital, greffes, souffrances. Mais elle a vu la Vierge.
Quant à Kevin, il est tué par les policiers, mais va devenir un martyr en quelque sorte. « J'avais vu au tournage ce petit corps bouleversé par la mort, le sang coulant de sa tête jusqu'à ce que Kevin s'assèche et puis le sang s'est également asséché ». Et il devient l'égal d'un saint pour le couple. « J'ai rêvé de Kevin. […] Quand arrive ce qui est attendu même contre tout espoir ». Même si la réalité est tout autre. C'est un « ver pour nourrir les poisson-chats". Kevin n'est pas "au paradis, heureux" comme le répète, convaincue, Cléo ». Et pourtant sa mort est idéalisée sous forme de « petits contes pleins d'un Kevin au paradis des PlayStation avec écran géant ; « Tu te rends compte, Qüity, l'écran c'est le monde, mon amour », et la Vierge Marie c'est la maman, et Dieu le grand-père ». Retour toujours à la famille et à l'amour entre les différents protagonistes.
Cette figure de la Vierge qui sublime les habitants les plus pauvres est souvent présente dans la littérature sud-américaine. A mi-chemin entre le mysticisme et le social. « La Vierge dit à Cléo que si cela n'avait tenu qu'à elle, Jésus aurait été charpentier et marié à Marie-Madeleine. Même si elle était une putain, c'était mieux que d'être un messie et d'épouser une croix ».
« Pure matière affolée de hasard, voilà, pensais-je, ce qu'est la vie. C'est là-bas sur l'île que je me suis mise à l'aphorisme, presque à poil, sans une seule de mes affaires, pas même un ordinateur, à peine un peu d'argent et des cartes de crédit que je ne pouvais pas utiliser tant qu'on serait en Argentine. Mes pensées n'étaient que choses pourries, bouts de bois, bouteilles, tas de branchages, préservatifs usagés, morceaux de quai, poupées sans têtes, le reflet de l'amas de déchets que la marée abandonne lorsqu'elle se retire après avoir beaucoup monté. Je me sentais échouée et j'ai cru avoir survécu à un naufrage. Je sais maintenant que personne ne survit à un naufrage. Ceux qui coulent meurent et ceux qui s'en sortent vivent en se noyant ».
« Mais nous étions dans la saison des miracles et nous pensions que la statue maladroite de la Tête de la Vierge rayonnait telle un bouclier protecteur, que nous croyions tous un peu, d'une manière ou d'une autre. Moi, une ville dans la ville comme une goutte de mer dans la mer, croyant au peuple uni. En tout cas, tout arrivait à notre Vierge partout et nous croyions aux miracles et nous étions heureux ».
La chute du roman souffre cependant de nombreux clichés (la cheta de Palermo qui idéalise la ville), par exemple. « On est parties avec un peu de fric, environ dix mille dollars que j'avais économisés et cinq mille que nous a offerts Daniel. Comme aime le réciter Cleo, « l'argent appelle l'argent » et nous voilà, avec plein de dollars, devenues de riches dames de pays développés ».


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