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Guillaume Contré (Traducteur)
EAN : 9782264079015
192 pages
10-18 (19/08/2021)
3.18/5   73 notes
Résumé :
Pleines de grâce est l'histoire flamboyante de Qüity, une jeune journaliste dure à cuire de Buenos Aires, et de Cleopatra, une travestie qui, après avoir renoncé à la prostitution suite à l'apparition de la Vierge Marie, entreprend, avec une armée de putes, de trafiquants et de voleurs, de transformer son bidonville d'El Poso en une communauté autonome. Contraintes de fuir après que le pouvoir local a rasé le bidonville, Qüity et Cleo, dont elle est enceinte, racont... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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sur 73 notes
Qüity est une jeune journaliste des beaux quartiers de Buenos Aires, mais qui connaît bien le terrain et l'ultra-violence des bidonvilles. Elle pense tenir le reportage de l'année quand elle se rend à El Poso, l'une de ces "villas miserias", pour y rencontrer Cleopatra, une travestie qui a renoncé à la prostitution après que la Vierge lui soit apparue. Et qui, sur les prières de celle-ci, a décidé de transformer El Poso, si pas en paradis, en quelque chose qui ressemble un peu moins à un enfer sur terre. Sous les bannières de sa toute nouvelle foi et avec son charisme, Cleopatra, promue reine de cette cour des miracles, entraîne tous les habitants, y compris les délinquants et les prostituées, dans un projet de communauté autonome. Un projet utopique qui attire l'oeil des anthropologues, des ONG et des médias, et donc celui de Qüity, qui tombe amoureuse de Cleopatra.

Mais El Poso, géographiquement trop proche d'une banlieue chic qui ne demande qu'à s'agrandir, ne va pas tarder à être rasé par les bulldozers de la mairie, dans un mélange de corruption et d'expulsions manu militari, jusqu'à ce que mort s'ensuive si nécessaire. Et cela le sera, nécessaire. Un vrai massacre.

Qüity et Cleopatra s'en sortent vivantes, mais pour leur sécurité, elles s'enfuient à Miami, d'où elles nous racontent leur histoire, à deux voix.

Comme sa couverture (édition de poche), "Pleines de grâce" est un roman au style baroque flamboyant, un récit à la limite de la logorrhée et à la chronologie éclatée. Mélangeant l'argot des bidonvilles et le phrasé châtié de la Vierge (qui s'exprime comme "une Espagnole médiévale"), il oscille entre tragique et burlesque, mettant en scène des personnages complexes aux prises avec la misère et la violence des gangs, de la police, des milices privées. Pour seule échappatoire, on fait la fête, une débauche de musique, de danse, d'alcool et de nourriture, de drogue, de sexe, avant d'aller peut-être se faire tuer au petit matin au coin de la rue.

Avec du bruit et de la fureur, de l'amour et de la mort, souffrance, haine et nostalgie, ce roman me laisse perplexe. Je ne sais pas s'il veut dénoncer, provoquer, conscientiser, peut-être un peu tout ça. En tout cas le style en partie cru et vulgaire (même si c'est cohérent dans le contexte) m'a plutôt écoeurée. Et si Cleopatra est attachante, ce n'est pas le cas de Qüity, plus ambiguë. L'ensemble m'a semblé un peu inabouti, sans message clair : que penser de ces deux personnages qui deviennent richissimes à Miami après la création d'un opéra-cumbia racontant l'épopée d'El Poso ? Auto-dérision, dénonciation d'une hypocrisie ultime ? Curieux roman endiablé que ce "Pleines de grâce"...

En partenariat avec les Editions 10/18 via Netgalley.

#Pleinesdegrâce #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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« Pleines de grâce » de Gabriela Cabezón Cámara, traduit par Guillaume Contré (2020, Editions de l'Ogre, 201 p.) forme le premier volume de la « Trilogie Sombre » qui se poursuit par « Les Aventures de China Iron » (2021, Editions de l'Ogre, 256 p.) et ensuite « Romance de la Négresse Blonde ». Soit, dans la langue originale « La Virgen Cabeza », « Las Aventuras de la China Iron » et « Romance de la Negra Rubia » ou en anglais « Slum Virgin », « The Adventures of China Iron » et « Romance of the Black Blonde ». Une véritable épopée argentine, vite comparée au prestigieux « Martin Fierro ».
Auparavant, elle a publié une bande dessinée « Beya, le viste la cara a Dios » (Beya, t'as vu le visage de Dieu), illustrée par Iñaki Echeverría (2013). Histoire d'environ 150 pages, qui raconte à la seconde personne, l'histoire d'une fille piégée dans un réseau de traite. Beya en fait c'est une dame noble. Des journées de 15 heures à être battue, violée, droguée. Elle se fantasme une grossesse avec un cordon ombilical fait de barbelés. Elle s'observe en parvenant à sortir de son corps. Et ainsi à voir le visage de Dieu et parvenir à se racheter. Entre temps, une mention implicite à « La Belle au Bois Dormant ». Elle finira par aller dans un autre pays avec un faux passeport pour recommencer une autre vie.
« La Virgen Cabeza », titre traduit en « Pleine de Grâces », est le premier roman de Gabriela Cabezón Cámara. Qüity est une journaliste de Buenos Aires qui rencontre Cleopatra, travesti qui se prostituait jusqu'au jour où elle eue une apparition de la Vierge. D'où le fastueux projet de transformer le quartier d'El Paso où elle vit en une communauté plus qu'utopique. Pour commencer, les deux personnes installent la scène d'un opéra-cumbia baroque. le quasi sublime du projet confronté à l'ordure et au sordide. « La Vierge parlait comme une Espagnole médiévale et la journée commençait avec la première cumbia. Chacun articulait ce qu'il voulait dire dans sa propre syntaxe et c'est ainsi que nous avons construit la langue de cumbia pour raconter les histoires de chacun, j'ai entendu des histoires d'amour et de balles, de règlement de comptes et de sexe, cumbia joyeuse, cumbia triste et cumbia enragée toute la journée ».
Ce quartier d'El Paso n'est pas clair, en principe c'est un quartier assez central de la ville, énorme puisque de 15 millions d'habitants, divisée en 48 barrios, plus ou moins autonomes, répandus sur 200 km2, soit le double de Paris. le quartier s'étend jusqu'au Cimetière de la Recoleta, vaste espace où sont enterrés toutes les célébrités du pays, dans une débauche de chapelles, panthéons familiaux et caveaux spacieux, qui cohabitent avec des murs-caveaux du petit peuple. Une autre particularité de la ville consiste en librairies, récentes ou de livres d'occasion, chose qui n'existe pratiquement pas dans d'autres villes sud-américaines. C'est sans compter les cabarets et théâtres qui foisonnent, dont le renommé Café Tortoni sur l'Avenida de Mayo, où le dimanche après-midi, en sous-sol se produisent d'anciennes vedettes du chant et du théâtre. Anciennes vedettes, cela se voit et s'entend, mais qui croient encore aux miettes de leur gloire passée.
Donc dans ce barrio, Qüity est une fille hétérosexuelle dont le seul but est de se marier. Elle est enceinte de Cleopatra, un travesti, mais le petit-fils, Kevin, qui naitra, n'a pas vraiment de lien de sang avec ses mères. Cleopatra, qui a vu la Vierge en apparition, mène la révolte contre les autorités. Elle est atrocement brulée dans l'incendie des pauvres habitations. La vision de la Vierge va la transformer. « La Vierge m'a dit que Jéhovah lui avait dit que l'odeur de cette viande consumée par le feu l'avait apaisé. Et oui, Qüity, il est un peu féroce aussi ». Séjours en hôpital, greffes, souffrances. Mais elle a vu la Vierge.
Quant à Kevin, il est tué par les policiers, mais va devenir un martyr en quelque sorte. « J'avais vu au tournage ce petit corps bouleversé par la mort, le sang coulant de sa tête jusqu'à ce que Kevin s'assèche et puis le sang s'est également asséché ». Et il devient l'égal d'un saint pour le couple. « J'ai rêvé de Kevin. […] Quand arrive ce qui est attendu même contre tout espoir ». Même si la réalité est tout autre. C'est un « ver pour nourrir les poisson-chats". Kevin n'est pas "au paradis, heureux" comme le répète, convaincue, Cléo ». Et pourtant sa mort est idéalisée sous forme de « petits contes pleins d'un Kevin au paradis des PlayStation avec écran géant ; « Tu te rends compte, Qüity, l'écran c'est le monde, mon amour », et la Vierge Marie c'est la maman, et Dieu le grand-père ». Retour toujours à la famille et à l'amour entre les différents protagonistes.
Cette figure de la Vierge qui sublime les habitants les plus pauvres est souvent présente dans la littérature sud-américaine. A mi-chemin entre le mysticisme et le social. « La Vierge dit à Cléo que si cela n'avait tenu qu'à elle, Jésus aurait été charpentier et marié à Marie-Madeleine. Même si elle était une putain, c'était mieux que d'être un messie et d'épouser une croix ».
« Pure matière affolée de hasard, voilà, pensais-je, ce qu'est la vie. C'est là-bas sur l'île que je me suis mise à l'aphorisme, presque à poil, sans une seule de mes affaires, pas même un ordinateur, à peine un peu d'argent et des cartes de crédit que je ne pouvais pas utiliser tant qu'on serait en Argentine. Mes pensées n'étaient que choses pourries, bouts de bois, bouteilles, tas de branchages, préservatifs usagés, morceaux de quai, poupées sans têtes, le reflet de l'amas de déchets que la marée abandonne lorsqu'elle se retire après avoir beaucoup monté. Je me sentais échouée et j'ai cru avoir survécu à un naufrage. Je sais maintenant que personne ne survit à un naufrage. Ceux qui coulent meurent et ceux qui s'en sortent vivent en se noyant ».
« Mais nous étions dans la saison des miracles et nous pensions que la statue maladroite de la Tête de la Vierge rayonnait telle un bouclier protecteur, que nous croyions tous un peu, d'une manière ou d'une autre. Moi, une ville dans la ville comme une goutte de mer dans la mer, croyant au peuple uni. En tout cas, tout arrivait à notre Vierge partout et nous croyions aux miracles et nous étions heureux ».
La chute du roman souffre cependant de nombreux clichés (la cheta de Palermo qui idéalise la ville), par exemple. « On est parties avec un peu de fric, environ dix mille dollars que j'avais économisés et cinq mille que nous a offerts Daniel. Comme aime le réciter Cleo, « l'argent appelle l'argent » et nous voilà, avec plein de dollars, devenues de riches dames de pays développés ».


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« Pleines de grâce » de Gabriela Cabezon Camara - Quant à moi, je suis pleine de doutes !

A Buenos Aires, dans une villa miseria (bidonville argentin), vit Cléopatra, une femme trans* capable de converser avec la Vierge Marie. Suite à une terrible agression, elle lui est apparue par miracle et depuis, sur ses ordres, Cléopatra tente de transformer le bidonville d'El Poso en une communauté autonome.

Quand Qüity, jeune journaliste à la dérive issue des beaux quartiers, entend parler d'elle, elle pense enfin tenir l'article du siècle. Très vite, Qüity, oublie les raisons de sa venue et s'engage corps et âme dans l'organisation de la collectivité, au point de devenir la maman de substitution d'un petit Kevin.

Mais un jour, les autorités locales décident de raser la villa miseria d'El Paso. Cléopatra et Qüity, enceinte de cette dernière, doivent fuir le pays.

*Dans le roman, Cléopatra est décrite comme travestie. Je pense que le terme trans est plus juste étant donné que malgré qu'elle ait conservé ses attributs masculins, sa poitrine a été refaite. N'hésitez pas à me dire si je me trompe.

Qüity
« Ma petite aimait déjà les discours de la plus queer de ses mères, elle semblait danser tandis qu'on l'écoutait. Et moi, elle me plongeait dans la perplexité, comment pouvait-elle citer L'Odyssée presque mot pour mot ? Impossible qu'elle l'ait lue dans sa putain de vie misérable. D'où, bordel, sortait-elle des trucs comme ça ? La Vierge existait et elle était branchée classiques et putes pauvres ? »

Cleopatra
« Qüity, mon amour, il m'est tout arrivé, plus rien ne peut m'humilier. Et encore moins cette crise de moralisme qui te prend depuis qu'on est à Miami : toi qui m'as trouvée bien excitante en voyant de très près la pute que j'étais, tu ne peux pas me sortir ces conneries maintenant, mon coeur. »

MON AVIS

Ce petit roman d'à peine 200 pages est clairement un OVNI. Quand j'ai vu la couverture flashy en rayon, j'ai craqué dessus sans trop savoir dans quelle lecture je m'embarquai. Et au final, je ne sais pas trop quoi en penser. Bizarrement, bien que cette lecture ait été très agréable, j'ai du mal à me positionner.

Est-ce que j'ai aimé lire ce livre ? OUI

Est-ce que les personnages sont attachants ? NON, mais ils sont très intéressants.

Est-ce qu'il y a une intrigue, du suspense ? OUI et NON. C'est surtout le récit d'un moment de vie. D'ailleurs, le synopsis laisse très peu de place aux surprises. Je dirai même que la seule surprise réside dans la fin du roman. L'intrigue se trouve entre les lignes du speech, dans les « pourquoi ? » et les « comment ? ».

Est-ce que le style d'écriture m'a plu ? Encore une fois, OUI et NON. J'ai vraiment aimé que ce soit un ouvrage à deux voix, car on découvre vraiment deux versions des faits. Qüity raconte l'histoire et Cléopatra l'ajuste avec son point de vue. Et chacune à son propre style. Celui de Qüity est dur, mélancolique et cru, quant à Cléopatra, il est franc, rapide et divertissant. En revanche, il y a beaucoup de références à la culture argentine et par moments, j'ai trouvé les tournures de phrases compliquées, m'obligeant à reprendre plusieurs fois un paragraphe pour bien assimiler les dires.

Qu'as-tu ressenti à la fin de cette lecture ? Je pense que le problème vient de là. Je suis restée un peu sur ma fin. C'est ce qui fait que je ressors perdue. J'ai apprécié 90% de cet ouvrage, l'univers, le style, les personnages, mais j'ai été désappointée par la conclusion de l'auteure. Si je la compare au reste du roman, je ne l'ai pas trouvé au niveau.

Bref, pour conclure, je ne saurai dire s'il faut que vous lisiez ou non ce roman. Je vous conseille de prendre plusieurs avis et de voir si l'envie grandit en vous. Enfin, je dirai que ce choix ne peut pas être autre que personnel. Il va dépendre de l'attrait que vous avez pour le milieu queer, de votre tolérance aux propos sans nuances et de votre ouverture d'esprit.
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Un bidonville de Buenos Aires devenant scène primitive et queer d'une lutte exacerbée, perdante et magnifique, face à l'avidité jamais rassasiée des puissants, en une farceuse et foncièrement drôle fête du langage. Un choc profond.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/05/note-de-lecture-pleines-de-grace-gabriela-cabezon-camara/

Publié en 2009 en Argentine, le premier roman de Gabriela Cabezón Cámara, superbement traduit, malgré ses nombreuses difficultés lexicales, par Guillaume Contré pour les éditions de l'Ogre en 2020, constitue un choc littéraire à part entière. Il aurait pu, peut-être, se contenter d'être le récit, en forme de témoignage aussi tragique que comique, du destin résistant d'un bidonville de Buenos Aires, autogéré sous l'égide bienveillante d'une horde de drag queens n'ayant froid nulle part et d'une bande ramifiée de gamins des rues prompts à dégainer très professionnellement leurs armes de bric et de broc pour protéger leur Commune, leur bassin de béton aux improbables et nombreux poissons rouges, leur statue miraculeuse de la Vierge Marie et leur mode de vie si frugalement réimprovisé en permanence, le tout raconté par une journaliste d'investigation ayant sauvagement perdu son objectivité. « Pleines de grâce » s'ancre dans cela, bien entendu, mais irradie aussi bien d'autres longueurs d'onde de rayonnement au spectre plus ou moins visible.

D'une Argentine de la violence, rampante ou au contraire comme libérée au grand air, cette violence viscérale qui hante les affrontements entre bandits plus ou moins bien sponsorisés de Leonardo OyolaGolgotha » ou « chamamé », en 2008) comme les anciens tortionnaires à distance devenus si respectables, chez Elsa Osorio (de « Luz ou le temps sauvage » en 1998 à « Double fond » en 2017), cette violence qui s'enracine sans doute aussi bien dans des mépris historiques et des injustices passées, comme le décrypte Raul Argemi (tout particulièrement dans son « Les morts perdent toujours leurs chaussures » de 2002) que dans des avidités bien contemporaines, illustrées par exemple par Juan Martini et son « Puerto Apache » de 2002 également (celui dont le décor se rapproche le plus initialement de la scène primitive de la villa – du bidonville -, ici), de cette violence de classe fondamentale, dissimulée sous les masques les plus divers, Gabriela Cabezón Cámara a su, par la magie d'une composition, d'un langage et d'un choc de lexiques, extraire un roman très inhabituel et, pour tout dire, plutôt renversant.

En dehors des quelques indications fournies ex post, ci-dessus, il ne s'agit pas de raconter « Pleines de grâce », car la lectrice ou le lecteur devra se laisser baptiser intégralement dans ce torrent de drôlerie farceuse, de violence imperturbable, de ferveur, de hasard et de regrets, torrent sanctifié par d'improbables concours de circonstances, par quelques somptueux dévouements, et par le cadeau pour une fois presque salvateur du spectaculaire marchand mondialisé.

Tordant les éventuelles munitions préparées par la littérature queer comme en rêverait une Donna Haraway (en beaucoup plus foncièrement drôle), mêlant les registres de langue avec un art discret et maîtrisé, déployant une fougue sexuelle, musicale et politique comme en se jouant de tout – et d'abord de l'avidité irrépressible des puissants, constituant ses échos imparables au Rodrigo Fresán aussi bien de « Mantra » que des « Vies de saints », pour construire pourtant, contre toute intuition, autre chose qu'une chanson triste, Gabriela Cabezón Cámara affirmait d'emblée avec ce premier roman un pouvoir presque essentiel, celui d'une littérature combative et endiablée, pleine de ressources insoupçonnées, ancrée avant tout dans une fête du langage.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Pleines de grâce est un étrange petit roman ! Je ne sais pas trop comment j'en ai entendu parler mais la quatrième de couverture me donnait très envie alors je l'ai acheté.

Dans ce roman on suit les aventures de Quity ex-journaliste et Cleopatra femme trans et ex prostituée. Ces 2 là se rencontrent, tombent amoureuses et forment une famille. le tout dans une ambiance de bidonville et de tentative d'autogestion.  Le roman raconte les prémices de cette tentative de communauté autonome jusqu'à son démantèlement et la fuite des 2 protagonistes à l'étranger. le tout ponctué d'apparition de la Vierge Marie et d'un étrange syncrétisme religieux et culturel.

Dès le début du roman j'ai eu du mal avec le style et je n'ai pas vraiment réussi à entrer dans l'histoire. le récit est raconté tour à tour par les deux personnages dans une sorte de logorrhée sans fin, avec des aller et retours dans la chronologie des faits. Une part de ma difficulté à entrer dans la narration est certainement dû au fait qu'une partie des chapitres se veut une transcription de commentaires audios fait par Cleopatra lors de la lecture des chapitres écrits par Quity …

Par contre, je dois dire que la couverture est très belle et résume bien les éléments principaux de ce roman : foi et violences.

Malgré cela j'ai tout de même choisi d'aller au bout de l'histoire car le livre est court (200p) mais je ne saurais trop que retenir de cette lecture.
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Ma petite aimait déjà les discours de la plus queer de ses mères, elle semblait danser tandis qu’on l’écoutait. Et moi, elle me plongeait dans la perplexité, comment pouvait-elle citer L’Odyssée presque mot pour mot ? Impossible qu’elle l’ait lue dans sa putain de vie misérable. D’où, bordel, sortait-elle des trucs comme ça ? La Vierge existait et elle était branchée classiques et putes pauvres ?
« Sens donc, Cleo, comme ta fille bouge. » Cleo a lâché son empanada et son ton prophétique et m’a caressé le ventre. « Salut, princesse, je suis ta mère, Cleopatra, celle qui vous donne à manger à toutes les deux, celle qui te coud tes petits vêtements. On va partir d’ici, ma fille. » Cleo est devenue solennelle et la voix du prophète lui est revenue : « On va aller dans un autre pays. Toi, tu vas naître là-bas, c’est un pays avec beaucoup de soleil, de palmiers, une mer verte. Le seul truc qui craint, m’a dit Sainte Marie, Qüity, c’est qu’il est plein de gusanos. » « Ah, non, chérie – j’ai pris un ton ferme – tu peux aller dire à ta Vierge que moi, à Cuba, je n’y fous pas les pieds. » « J’ai dit gusanos, Qüity. » « Et ils ne sont pas tous de Cuba, ces types-là, ma chérie ? » « Oui, mais pour en partir, Qüity, ne sois pas conne. »
C’est alors que je l’ai su et nous y voilà, à Miami, entourées de vers, comme si nous tous qui avions fait partie de la villa avions été condamnés d’une façon ou d’une autre à un même destin. Évidemment, nos vers ne sont pas les mêmes que ceux du cimetière de Boulogne : ceux-là sont humains, ils prétendent vivre dans une perpétuelle nostalgie de Cuba, ils sont pleins aux as et travaillent comme des fous. Les autres, la plupart des Cubains de Miami, vivent des subsides du gouvernement en échange du rôle d’illustration vivante de la dimension néfaste des révolutions socialistes et ils ne font que se pochtronner, se droguer et battre leurs femmes. Pourtant, il est habituel de voir au petit matin ces femmes parcourir la 8e Rue à la recherche de leurs hommes dans tous les bouges où ceux-ci s’effondrent comme des arbres abattus : à partir du septième rhum, le reste n’est que coups de hache. Ils commencent par perdre hauteur et équilibre, donnent un coup à quelqu’un, trébuchent, balbutient une insulte, semblent douter un instant, tombent par terre et c’est fini, ils restent là jusqu’à ce que quelqu’un les soulève. C’est ainsi, d’un bouge à l’autre, qu’Helena était allée, jusqu’à ce que meure le Petit Taureau, même si le Petit Taureau n’était pas un ver et ne frappait pas Helena. Ils ont été, eux, les seuls des nôtres à avoir fait le même trajet que Cleo et moi : bidonville-massacre-Miami.
Les vers suivent Cleo partout, elle et la tête de la Vierge, ce pauvre hommage de pauvres qu’on qualifie maintenant de relique, ce morceau de ciment peint qui a également survécu au massacre et que Cleo a trimbalé à travers toute l’Amérique et toute l’échelle sociale, jusqu’à parvenir au nord et à la propriété de nombreux comptes bancaires.
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On a passé l’hiver entier là-bas, plongées dans la brume des îles du Paraná, tandis que le fleuve allait et venait. On parlait peu. Moi, la douleur m’a fait me fondre avec les choses et m’a coupée de tout. Je flottais, étrangère à ce qui me soutenait : les arômes de la cuisine et la chaleur du poêle, les affaires de Cleopatra, qui a exercé tous ses talents à l’ombre de la tête de la Vierge et en dépit de ma stupeur face à l’indifférence de la vie et de la mort, de la matière qui gaspille mondes et frêles créatures dans ses propres aventures. Je suis restée repliée sur moi-même en position fœtale, pareille à celle qui se faisait en moie et malgré moi : mon ventre était vivant de cette enfant qui y grandissait, mais moi je n’étais qu’un cimetière de morts chéris. J’avais l’impression d’être une pierre, un accident, un état de la matière, une roche consciente qu’elle sera fondue, solidifiée et transformée en autre chose et j’avais mal de me savoir ainsi. Je n’ai pas étudié le sujet, mais sans doute n’existe-t-il pas une seule roche identique à une autre. Ou si, mais qui, bordel, pourrait comparer toutes les pierres de tous les temps ? Et je ne vois pas en quoi cela atténuerait la douleur de cette roche de savoir que peut-être, une fois, il y en a eu une autre identique dans la démesure du temps – ce qui n’est pas vrai, ce qui l’est, c’est l’avénement de la matière, l’inquiétude fondamentale des éléments.
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On a passé l’hiver entier là-bas, plongées dans la brume des îles du Paraná, tandis que le fleuve allait et venait. On parlait peu. Moi, la douleur m’a fait me fondre avec les choses et m’a coupée de tout. Je flottais, étrangère à ce qui me soutenait : les arômes de la cuisine et la chaleur du poêle, les affaires de Cleopatra, qui a exercé tous ses talents à l’ombre de la tête de la Vierge et en dépit de ma stupeur face à l’indifférence de la vie et de la mort, de la matière qui gaspille mondes et frêles créatures dans ses propres aventures.
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Qu’il y ait eu ou qu’il n’y ait pas eu un autre accident semblable à moi-même ou à Kevin, c’était et c’est toujours quelque chose dont je me contrefous, qui donc a décrété que l’unicité est preuve de résurrection ? Je ne vois pas pourquoi il faudrait penser la nature selon un critère fordiste : « Ce n’est pas une chaîne de montage, les produits ne sont pas tous identiques, et puis il y a Dieu » ; « Il n’y a pas de Dieu », ai-je parfois dit à Cleopatra, les rares fois où je lui ai parlé, quand elle me sortait l’analgésique imaginaire de sa psyché exubérante : des petits contes pleins d’un Kevin au paradis des PlayStation avec écran géant ; « Tu te rends compte, Qüity, l’écran c’est le monde, mon amour », et la Vierge Marie c’est la maman, et Dieu le grand-père. Parce que les complexités filiales de la sainte Trinité, Cleo les avait, et les a, plus ou moins résolues ; selon ce qu’elle raconte, Dieu serait le papa de la Vierge. « Et de Jésus aussi, Cleo ? lui demandais-je alors. Ça ne ressemble pas un peu à un inceste ? Oh là là, chérie, tu dis un insecte comme le Carlos qui se tapait sa fille et l’a mise en cloque, le fils de pute, alors on lui a donné la branlée de sa vie sauf que la morveuse était archi-baisée et enceinte jusqu’au cou tout pareil ? Oui, Cleo, un inceste, ou comme tu le dis, toi : c’était un cafard. Qüity, manquerait plus que Dieu soit pareil à ce Paraguayen de merde, arrête de te foutre de moi. Jésus, c’est le fils de la Vierge toute seule. » Ferme dans ses certitudes théologiques et dans sa capacité à concevoir les liens parentaux, elle poursuivait sa part d’un dialogue qu’on a répété presque chaque jour passé sur l’île : « C’est l’amour qui me porte, Qüity, pour que toi aussi tu saches où est Kevin, idiote, parce qu’il est au ciel, il est content. Oui, Cleo, et il mange des biscuits fourrés à l’ambroisie, c’est ça ? »
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La Vierge parlait comme une Espagnole médiévale et la journée commençait avec la première cumbia. Chacun articulait ce qu’il voulait dire dans sa propre syntaxe et c’est ainsi que nous avons construit une langue de cumbia pour raconter les histoires de chacun, j’ai entendu des histoires d’amour et de balles, de règlements de comptes et de sexe, cumbia joyeuse, cumbia triste et cumbia enragée toute la journée. Maintenant, je ne veux plus en écouter. C’est la raison de ce salon blanc, de ces fenêtres blindées, de cette température contrôlée. J’écris ce qui s’est passé avant et rien ou presque rien ne varie autour de moi : ma fille grandit bruyamment ailleurs dans la maison et Cleo vieillit et finit par se confondre avec les dames prospères, peroxydées et vulgaires de Miami.
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Cette interview a été réalisée durant Littérature Live Festival 2022.
Chez les Artisans de la Fiction, situés à Lyon, nous valorisons l'apprentissage artisanal des techniques d'écriture pour rendre nos élèves autonomes dans la concrétisation de leurs histoires. Nous nous concentrons sur les bases de la narration inspirées du creative writing anglophone. Nos ateliers d'écriture vous permettent de maîtriser la structure de l'intrigue, les principes de la fiction et la construction de personnages.
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