AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de oran


10 octobre 2016
Relire La Peste, une fois de plus, mais cette fois-ci dans une édition prestigieuse de 1962 , celle de L'Imprimerie nationale , tirée en 9 900 exemplaires, un ouvrage somptueux qui vient de m'être offert et qui porte le numéro 6 338, cadeau royal, plaisir incommensurable pour une camusienne inconditionnelle…
Au-delà de cette énième lecture qui m'apporte, à chaque fois, autant d'émotion, j'éprouve un saisissement encore plus puissant parce que cet ouvrage, en deux tomes, est illustré par Edy-Legrand ( Édouard Léon Louis Warschawsky – 1892/1970) de plusieurs aquarelles qui témoignent et qui renforcent l' atmosphère pesante, morbide de cette cité touchée par le fléau de la peste.
Réalité et fantasmagorie à la fois : personnages caricaturaux, vêtus à la mode des années 1930, femmes portant mantille, vieille femme, près d'une fenêtre, qui ressemble à Catherine Camus, la mère de l'écrivain, paysages, rues, intérieur d'église … et cet air espagnol si caractéristique d'Oran qui flotte et que l‘on ressent !
Camus, admiratif, passionné par l'art appréciant le travail des artistes sculpteurs, architectes et peintres en particulier, fut pénétré par ce travail artistique. Il lui dédia le texte suivant qui figure en en-tête du livre :
« A Edy-Legrand
Le monde ne nous apparaît jamais tel qu'il est ; quelque chose en lui, ou en nous, le dépasse en l'affirmant ; la réalité enfin n'est jamais pure, sauf dans la mort où elle triomphe. Mais le mythe non plus n'a pas d'existence suffisante, sauf dit-on dans cette ville éternelle où il règne seul. Chaque homme le sait sans le savoir, soit que jour après jour il se rapproche du réel vers une mort inacceptable, soit qu'il s'en éloigne vers le mythe éternel et l'impossible survie. Entre les deux se trouve l'artiste, seul à connaître, par sa souffrance même, que la réalité n'est rien sans l'aspiration qui la transcende et que le mythe est illusoire hors de la réalité qui le fonde. Mais le véritable artiste est rare. Ils sont légion, ceux qui rêvent ou qui s'abaissent, croyant créer…
J'aime ainsi l'oeuvre d'Edy-Legrand qui m'offre le réel corrigé par un style. Les visages les plus communs y sont insolites, la rue se peuple de questions sans cesser d'être familière. La meilleure façon par exemple de mal illustrer La Peste eût été d'ignorer que cette oeuvre était un mythe en même temps qu'une photographie du réel. Edy-Legrand s'en est gardé. En grand artiste, là comme dans toute son oeuvre, il nous montre d'abord Oran, mais un Oran subtilement décalé. le même Oran, certes, que celui de tous les jours, mais nettoyé à neuf, tiré hors du brouillard des habitudes, et dès lors plein d'insécurité innocente.
C'est cela, et pourtant cela n'est pas, le monde n'est rien et le monde est tout, voilà le cri ambigu et inlassable de tout artiste véritable, le cri qui le tient aux aguets et debout, sans jamais fermer les yeux, et qui, de loin en loin, réveille au sein du monde endormi et trompeur le souvenir fugitif de ce que nous n'avons jamais connu.
A.C.
Voilà, moi, je tenais, tout simplement, à vous faire partager ces moments de plénitude apportées par cette lecture et la contemplation de ces images.
Commenter  J’apprécie          5011



Ont apprécié cette critique (41)voir plus




{* *}