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Critique de ClaireG


Cette lecture de « Noces » (1936-37) suivie de celle de « L‘été » (1939-53) est pur bonheur.

C'est un condensé d'essais dans lesquels Albert Camus prend pleinement conscience de lui-même. Une communion intime dans la contemplation du monde. Il parle de cette Algérie natale comme s'il faisait un avec cette terre qu'il arpente inlassablement, ces endroits où il aime revenir, sources inépuisables de sensations, de beauté, où rien d'autre ne compte que le moment présent. Tipasa où il déambule dans les ruines antiques, où il a une vue imprenable sur la mer étale et le ciel d'azur, où « les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière », où le mont Chenoua semble protéger toute vie.

Djémila où souffle un vent si fort qu'il façonne le paysage et les corps à son gré, qu'il dessèche la végétation, qu'il force la distance vis-à-vis de l'humain, qu'il fait tourbillonner les pensées, de vie, de mort, de jouissance. Il inspire à Camus cette volonté à ne pas se résigner, ne pas considérer l'éternité car ce qui compte c'est la vie, la vie avec intensité, et continuer de contempler le « ciel qui dure ». Alger la blanche, en été, où le soleil omniprésent donne autant aux riches qu'aux pauvres, où la vie est facile, le jour sur la plage, le soir dans les cafés ou les cinémas de quartier.

Partout éclatent les couleurs, les odeurs, les saveurs, la richesse des paysages que des millions d'yeux avant lui ont contemplés. Ce sont des pages de lumière, de soleil, de bonheur de vivre, de bien-être. de réflexions aussi.

La deuxième partie est nettement plus philosophique, mythologique, mélancolique. La guerre a fait son oeuvre, elle a mis fin à la jeunesse de Camus, la révolte intérieure sommeille et gronde parfois mais « la première chose est de ne pas désespérer. N'écoutons pas trop ceux qui crient à la fin du monde. Les civilisations ne meurent pas si aisément et même si ce monde devait crouler, ce serait après d'autres. Il est bien vrai que nous sommes dans une époque tragique » (p. 123).

Grâce à notre Babéliote Oran qui m'a invitée à découvrir cette oeuvre de jeunesse et que je remercie infiniment, je sais que lorsque Camus est revenu en Algérie, il souffrait de tuberculose. Il ne voit plus les villes comme avant, ni les gens, ou alors avec une lucidité nouvelle, une gravité plus perceptible, une émotion toujours vive pour les Grecs et leurs dieux qui, comme Prométhée donna en même temps aux hommes le feu, la liberté, les arts et les techniques alors qu'aujourd'hui, l'art semble un obstacle et une servitude. Albert Camus développera d'ailleurs abondamment ces thèmes de la souffrance et de la liberté dans « L'Homme révolté » et dans « le Mythe de Sisyphe ».

Un des essais s'appelle « Retour à Tipasa ». Il recèle une nostalgie palpable. Les ruines sont protégées par des barbelés, c'est l'hiver et il pleut mais c'est ainsi que Camus sut avec certitude qu'il y avait au plus profond de lui un "été invincible".

Ce sont des textes vibratoires où la magie de la nature algérienne le dispute à la grisaille des villes d'Europe, où le plaisir des sens donne à ces Noces une poésie et une vitalité qui ouvrent toutes les formes de l'esprit.

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