"Un regard suffit pour qu'ils se comprennent. Des mots derrière les mots, échos et résonances, ce à quoi l'on rêve et ce dont on a besoin, ce que l'on cherche et ce que l'on trouve. La légèreté."
Ce n’est pas tant le spectacle qui l’a fatiguée que le contexte ambiant. Elle a enfoui trop d’émotions, trop de tensions, au point que l’adrénaline qui circule en elle lui provoque des crampes à l’estomac. Tous les visages de la veille au soir ressurgissent devant ses yeux ; la musique tourne dans son ventre. Malgré son trouble, un sourire inconscient flotte sur ses lèvres : était-ce la vraie Bianca Colli qui dansait au côté de Bob Sinclar, devant trois mille personnes déchaînées ? Durant quelques instants, il lui a semblé être étrangère à elle-même, peinant à se reconnaître dans la peau de cette gogo danseuse perchée sur ses talons hauts. Dans le même temps, elle a conscience qu’un déclic s’est opéré en elle : à présent, elle se sent une autre.
Même s’il connaît plutôt bien les femmes, que sait-il vraiment d’elles ? Elles renferment toujours une part de mystère qu’elles ne dévoilent jamais. C’est là que réside la magie. Pas avec toutes, bien sûr. Juste avec celles qui sont intéressantes. Dommage qu’il en trouve de moins en moins. Les filles de vingt ans ne l’intéressent plus. Pendant un temps, il est sorti avec un mannequin de vingt et un ans, une fille aux jambes interminables et aux hanches étroites d’anorexique.
Elle ne faisait que parler d’elle, passait des heures devant le miroir à se maquiller et à s’habiller. Aucune opinion, aucune passion. Aucun orgasme. Une poupée en plastique. Constamment en représentation, c’était épuisant.
À présent, Bianca roule à vive allure, stupéfaite de conduire une 2CV. Après avoir suivi une route en lacets, franchi une colline couverte de pins maritimes, elle descend vers la côte. Elle ne sait pas où elle va. C’est une sensation totalement inhabituelle : être au volant d’une voiture qui n’est pas la sienne, qui appartient à un autre temps, dans un lieu inconnu.
Depuis qu’elle a atteint la trentaine, elle n’a jamais autant aimé son corps. Du reste, elle possède une silhouette athlétique, tonique et naturellement dessinée par les cours de danse.
Pas question de se tromper. Si elle commet un faux pas, elle fera en sorte que cela passe inaperçu. Mais ça n’arrivera pas : tout est sous contrôle. Elle sait parfaitement ce qu’elle veut : impressionner et séduire. Elle en a pleinement conscience.
Elle se contemple à travers le prisme gigantesque de lumière qui éclaire les coulisses. Son maquillage prononcé fait ressortir le bleu de ses yeux et son rouge à lèvres Rouge Noir souligne les contours de sa bouche en cœur. Ses cheveux lâchés sont des ondulations sauvages qu’agite un vent artificiel.
Ses dents immaculées ressortent nettement entre ses lèvres en forme de cœur. Sur ses perles parfaitement blanches, une fine couche de baume incolore. Les bras grands ouverts, elle se laisse emporter par l’étreinte de ses petits soldats roses.
Par ailleurs, chez tout enseignant, l’équilibre est primordial. L’équilibre ! La règle première en danse classique ; une règle que les élèves de Bianca ont rapidement apprise.
Elle observe ses élèves avec satisfaction, les yeux brillants. En une fraction de seconde, ses yeux bleus deviennent plus intenses, tels deux saphirs illuminant son teint de porcelaine. Elles sont douées, ces petites !