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Critique de berni_29


Il n'est pas nécessaire d'aimer Proust ou de l'avoir lu ni de fréquenter les salons de coiffure pour apprécier ce récit empli de tendresse.
En revanche, si vous aimez les livres, vous serez conquis par cette très belle ode à la littérature. Clara lit Proust est avant tout cela, mais pas seulement...
La vie de Clara est assez terne côté professionnel. Elle travaille dans un salon de coiffure de province, à l'enseigne bien accrocheuse, Cindy Coiffure.
Le salon est tenu par Jacqueline Delage, alias Mme Habib, forte personnalité maternelle et attachante avec ses salariés comme avec ses clients. Tandis que Radio Nostalgie diffuse quotidiennement dans le salon des chansons qu'on a tous aimés entendre un jour, sur lesquelles on a peut-être dansé...
La vie de Clara est tout aussi terne du côté de sa vie personnelle, partagée entre les visites dominicales auprès de ses parents et la relation amoureuse avec son compagnon JB qui s'étiole au fil des jours comme une flamme déjà usée. Clara n'a que vingt-trois ans...
Entre bigoudis et shampoings, Clara s'affaire, jusqu'à ce matin où un homme un peu secret un peu mystérieux, est entré dans le salon. Elle se souvient lui avoir trouvé « une nervosité gracieuse ». Il en est ressorti plus tard tout aussi secrètement... Tout est ordinaire dans ses gestes, sauf le livre qu'il vient d'oublier. Clara s'en aperçoit tout de suite, elle aurait pu courir dans la rue, le rattraper, mais surtout elle se l'interdit, car elle sent, elle pressent que ce hasard est un rendez-vous non pas avec l'homme qui vient d'oublier ce livre derrière lui, - elle le range aussitôt dans un tiroir, mais avec autre chose qui va suivre. Plus tard, rouvrant le tiroir, elle s'aperçoit qu'elle a rendez-vous avec quelqu'un qui n'est rien moins que Marcel Proust...
C'est un texte immensément bienveillant, dans lequel Stéphane Carlier évite de tomber dans les poncifs et les clichés. Oui Clara est une coiffeuse avec tout ce que cela invite comme représentation sur le sujet. Mais Clara est tout simplement mal dans sa vie à tous points de vue, que ce soit sa vie personnelle ou sa vie professionnelle. Elle est là parce qu'il le faut bien...
Elle est là, mais son existence douce-amère est aussi ouverture à savoir accueillir ce genre de rencontre... Bien sûr, cela aurait pu être un autre auteur, un autre grand auteur classique, la trame narrative aurait pris la même allure, mais la présence de Proust dans le récit donne un supplément d'âme puisque notamment la fameuse scène de la petite madeleine plonge Clara dans un émoi vertigineux qui n'en finit de résonner en elle et de donner brusquement un nouveau sens à sa vie.
Alors il serait très restrictif de limiter Proust aux seules représentations faciles qu'on peut s'en faire... Ce que j'ai aimé dans le récit de Clara lit Proust, c'est cet apprentissage, les premiers pas de Clara vers un livre qui ressemble pour elle à un talisman, l'a fait entrer désormais dans un autre monde, quitter le sien si fade, il y a le bonheur brusquement pour Clara de découvrir que lire à voix haute est un plaisir jouissif, quelque chose de physique se passe en elle, il y a ce lien qui l'unit désormais à d'autres personnes, et demain peut-être, demain oui, Clara saura lire Proust à haute voix, donner envie à d'autres gens comme elle, vanter la beauté de la prose, le plaisir que d'autres vont prendre en l'écoutant, leur faire tout simplement du bien lorsqu'ils entendent ceci :
« Un chagrin causé par une personne qu'on aime peut être amer, même quand il est inséré au milieu de préoccupations, d'occupations, de joies, qui n'ont pas cet être pour objet et desquelles notre attention ne se détourne que de temps en temps pour revenir à lui... »
Convoquer le magnifique phrasé de Proust par le biais d'un texte qui, reconnaissons-le, ne présente pas une écriture transcendante, était une opération à haut risque. Stéphane Carlier s'en sort bien grâce surtout à son personnage Clara qui fait tout le boulot à sa place. C'est un personnage magnifique qui invite à l'empathie et le dernier chapitre, intitulé ÉPILOGUE, est tout simplement beau et touchant.
C'est un roman qui situe la littérature que nous aimons comme geste de lien et de transmission. C'est un livre dont le sujet a tout son sens parmi notre belle communauté de lecteurs.
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