AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de agathepetit


D'autres vies que la mienne est une sorte d'Anatomie d'une chute version littéraire avec une façon simple, presque journalistique de raconter des évènements très durs et une capacité à tirer l'essence humaine, psychologique des différents personnages concernés. C'est tout aussi bouleversant mais dans D'autres vies que la mienne, les vies et les morts sont réelles.

C'est un livre qui traite des thèmes de la maladie et de la manière dont un individu peut l'appréhender, qu'il en soit victime ou proche de la victime. Deux familles de victimes sont décrites : ceux pour qui la maladie est intrinsèque voir identitaire et ceux pour qui elle est extérieure, elle tue “juste”.

Il y a un petit côté voyeurisme, “télé-réalité” intellectuelle car les drames sont réels et sont décrits à travers des discussions intimes entre Emmanuel Carrère et les personnages, qui sont : sa femme, sa belle-soeur, les filles, l'ami et le mari de la belle-soeur… On se demande parfois si ça ne va pas un peu trop loin mais Emmanuel Carrère nous rassure ou peut-être légitime sa démarche au fil des aveux et des confidences. Il précise que leur publication est bien consentie et que le dessin des portraits est validée. C'est peut-être ça qui nous tient en haleine tout le long du récit : on sait que c'est réel, que c'est arrivé à des “vrais gens”. On est obligé d'y croire alors même que l'enchaînement des maladies, des souffrances et des morts de si peu de personnages semble invraisemblable. C'est je crois, un message du livre : rien n'est trop injuste pour exister. C'est en cela que l'histoire de Juliette est tragique et profondément injuste, son métier de juge consiste à faire respecter la loi dans un monde libéral ou pourtant, on a le droit de la violer (“Non, ça me va très bien, un monde où on a le droit de violer la loi. Mais je veux aussi, moi juge, avoir le droit de la faire respecter. C'est ça le libéralisme. Non ?"). Sauf que dans son cas précis, dans la maladie il n'y a pas de juge, parfois la vie ne respecte rien. le seul personnage qui l'incarne peut-être, d'une certaine façon, c'est son ami Etienne lui-même juge. Il a une approche très lucide et honnête de la situation, il ne cherche pas spécialement à dire ce que l'on a envie d'entendre. C'est paradoxalement son meilleur confident, parce qu'avec lui elle peut se confier, “dire des choses à quoi l'autre ne peut rien” et parce qu'appeler Etienne “c'était comme prendre un médicament extraordinairement puissant et efficace, qu'on se garde en réserve quand on aura très mal”.

Le style est introspectif, Emmanuel Carrère opère des va-et-vient entre la description des faits, ce qu'il en pense, ce qu'il pense de ce que pensent les protagonistes et ce que pensent ces personnages du fait même d'écrire un roman sur ce passage de leur vie. On comprend bien que parfois, Emmanuel Carrère parle de lui de façon détournée et c'est finement joué parce qu'il n'en dit jamais trop. Ce qu'il livre aux lecteurs c'est son prisme singulier à travers lequel il analyse la situation. Il est parfois déconcertant car très épuré et neutre malgré l'horreur. Il semble parfois même insensible aux évènements car il intellectualise, ramène régulièrement les sujets à la raison, à des concepts psychiatriques par exemple.

C'est aussi assez déconcertant d'alterner entre drames (maladie et mort) et étude de cas judiciaires. C'est un peu dérangeant même, mais ça rend son propos unique, inédit et crédible. On sent qu'il se préoccupe ou du moins s'intéresse véritablement au métier de juge et à la gymnastique intellectuelle pour ne pas dire magouilles que cela implique. Parfois on a presque l'impression qu'il met le cancer de Juliette sur le même pied d'égalité que ses exploits juridiques. C'est d'ailleurs une illustration, je pense, de la morale l'histoire : “(…) qu'il était possible d'en parler sans que ce soit dérisoire ou déplacé, et que pour être utile il n'était pas nécessaire d'avoir l'air triste”.
Commenter  J’apprécie          00







{* *}