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Critique de Zebra


C'est à l'occasion de ses études de droit que Donato Carrisi, écrivain italien né en 1973 à Martina Franca, découvre les tueurs en série : juriste de formation, spécialisé en criminologie et sciences du comportement, Donato Carrisi réalise d'abord une thèse sur Luigi Chiatti (tueur en série italien ayant assassiné deux petits garçons âgés de 4 et 13 ans en 1992 et 1993) puis il s'inspire très directement de la vie et du mode opératoire de ce tueur (qu'on a appelé « Il mostro di Foligno ») pour écrire, en 2010, son premier roman, un thriller littéraire : « Le Chuchoteur ».

Très vite « Le Chuchoteur » s'impose comme un coup de maitre : vendu à plus de 200 000 exemplaires en Italie, l'ouvrage paraitra en France, sera traduit en une douzaine de langues et remportera quatre prix littéraires, dont le prix SNCF du polar européen 2011 et le prix des lecteurs Livre de Poche 2011, catégorie « policiers-thrillers ». D'autres récompenses viendront ensuite conforter le talent de Donato Carrisi, comme le prix « Camaiore », le prix « Il Belgioso », le prix « Bancarella » et enfin le prix « Mediterraneo del Giallo y del Noir ».

Inspiré de faits authentiques tirés des annales de la Police Criminelle, « Le Chuchoteur » nous immerge dans une réalité américaine odieuse, macabre et nous entraine à la recherche des corps de cinq fillettes, corps ayant été amputés de leurs bras gauches. L'ambiance est glauque à souhait (page 367 – le ventre de la bête), certains enquêteurs – et notamment Mila - nous émeuvent par certaines de leurs blessures personnelles qui viennent noircir encore le tableau d'ensemble (page 504 – Mila pratique sur elle l'auto-mutilation), et le suspense est complet car à chaque nouveau cadavre le lecteur est tenté d'accrocher un nouveau coupable potentiel : on bute, on trébuche au milieu de tous ces rebondissements, on pense à chaque fois avoir identifié l'assassin mais c'est l'échec. On est tenu en haleine, collé le nez et les yeux à chaque page, jusqu'au dénouement tout à fait singulier, irréel, comme une scène filmée en plein soleil et à contre-jour.

« Le Chuchoteur » pose avec beaucoup d'intelligence et de brio la question des tueurs d'enfants et des" chuchoteurs". L'assassin des fillettes (non, je ne vous dirai pas de qui il s'agit !) est un "chuchoteur", c'est à dire un tueur en série de type subliminal, quelqu'un qui manipule les autres pour qu'ils en arrivent à tuer à sa place. le "chuchoteur" n'est pas un tueur comme les autres : il a une histoire personnelle tragique mais, l'interdit social l'empêchant de passer lui-même à l'acte, il s'appuie sur des personnalités quasi-ordinaires, choisies pour le côté obscur de leur propre histoire personnelle, pour leur faire commettre des crimes occasionnels en jouant sur leur côté obscur. le "chuchoteur" n'est pas né tueur en série, n'est pas né "chuchoteur", n'est pas né tueur d'enfants : sa personnalité s'est construite sur de nombreuses années, probablement une quinzaine d'années, période englobant sa petite enfance et son adolescence. Pendant cette période, le "chuchoteur" a commis des actes de délinquance pour nourrir son désir d'excitation. Cette délinquance est ensuite allée crescendo, le "chuchoteur" recherchant des poussées d'adrénaline de plus en plus fortes. le "chuchoteur" devait enfin en arriver au meurtre, meurtres qu'il préméditait et organisait à l'avance, méticuleusement. Qui dit meurtre dit pulsion de violence : celle-ci trouvait son origine dans les dysfonctionnements graves ayant entachés son enfance puis son adolescence, abandons parentaux, absence de figure paternelle, isolement psycho-affectif de l'enfant, alcoolisme ou drogue du parent ayant la charge de l'enfant, interdits sexuels, châtiments corporels, etc. Obsédé par ses pulsions, le "chuchoteur" accumulait progressivement un désir fou de toute puissance, de supériorité absolue, le désir de devenir l'égal de Dieu accordant ou supprimant la vie de ceux ou de celles qu'il choisirait, sans possibilité de contrôle extérieur. Ce désir fou nécessitait un contact physique avec les fillettes, ses victimes. Or, le "chuchoteur" vivait dans un monde personnel ambigu : les fillettes étaient chosifiées et dépersonnalisées afin d'assouvir son besoin de toute puissance et de mort, mais elles étaient également chéries (il les ampute du bras gauche mais il les soigne et veille à les maintenir en vie jusqu'à ce qu'il n'ait plus besoin d'elles) pour la satisfaction qu'elles seules arrivaient à lui procurer. le "chuchoteur" a son côté obscur, sa part d'ombre : il donne la vie mais il conduit d'autres êtres, méticuleusement choisis pour leurs parcours personnels tragiques, des assassins occasionnels, à donner la mort, à sa place. En fait, le "chuchoteur" nous raconte à sa façon son histoire ; traumatisé, enfant devenu adulte, devenu "chuchoteur", l'individu tente par son mode opératoire (page 568) de retrouver une partie « égarée » de son enfance tragique : il regrette ce monde de l'enfance (page 542) qui pouvait figer et stopper le temps, ce monde de l'enfance où les rituels de sang soudaient les amitiés, ce monde de l'enfance où l'amour (page 511) était entier, exclusif et éternel, ce monde de l'enfance où on se liait (page 509) en se disant simplement ses prénoms, en toute innocence et en grande pureté, ce monde de l'enfance où l'enfant (page 513) le rendait bien à l'adulte, l'adulte en qui il pouvait placer toute sa confiance. Dilemme : comme criminel, le "chuchoteur" doit être puni, mais comme malade, il doit être soigné. Que doit donc faire la société ? Doit-on accorder le pardon à ce type d'individu malgré l'abomination des fautes commises en son nom ?

« Le Chuchoteur » est un très bon thriller. L'écriture est claire et limpide. le suspense est garanti. Il y a beaucoup de personnages (de mon point de vue, un peu trop) et ils sont bien campés. le scénario avance, efficacement, à l'américaine. Ce livre assez volumineux (est-ce que l'auteur ne serait pas arrivé au même résultat avec 100 pages de moins ?) ne vous laissera pas indifférent et il vous transformera en enquêteur parti en chasse après les indices que Donato Carrisi aura laissé ici et là, comme autant de petits cailloux déposés par nos "Petit Poucet" sur un chemin tortueux et sanglant. Accessoirement, l'ouvrage vous fera réfléchir à des questions qui font encore débat, et pas seulement dans le cercle réservé des criminologues.

A lire.
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