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Critique de batlamb


Toujours plus radicale dans sa réinvention des mythes et archétypes qui structurent l'imaginaire et les rapports entre les sexes, Angela Carter se fait la mère d'une nouvelle monstruosité littéraire, une affolante oscillation des genres, qui floute la frontière entre satire et satyre.

Tout juste débarqué d'Angleterre dans une Amérique dystopique ravagée par la guerre civile entre minorités, son héros adulescent nommé Evelyn présente d'emblée une caricature de l'homme romantique et égocentrique, inconscient de la réalité qui l'entoure. En effet, sa vision du monde a été façonnée par la star hollywoodienne Tristessa de Saint-Ange, descendante filmique de la Justine de Sade. Enclin à collecter ces femmes éthérées et naïves pareilles à des oiseaux rares exotiques, Evelyn s'accapare la couche de la locale Leilah, en une parodie sordide de la romance entre Baudelaire et Jeanne Duval. Mais dans cette Amérique du futur imparfait, la vie ne peut rester éternellement antérieure ; et une embardée encore plus appuyée vers le roman d'anticipation causera l'amputation du destin d'Evelyn en même temps que de sa particule et de ses parties. Ainsi naîtra l'Eve éponyme, reflet déformé de l'andréïde de Villiers de l'Isle-Adam.

Fuyant les autres et sa propre identité, Eve(lyn) se replie vers le désert comme son idole Tristessa (qui y a pour sa part bâti un domaine où enfouir le secret douloureux qui la fait languir), et comme Angela Carter livrée elle aussi à ce désert semblable à une page blanche où on abolit le temps, où tout régresse vers un point zéro, et où vivent des réalités « solipsistiques » coupées du monde extérieur et de ses problèmes. Là peut s'accomplir en trois phases, trois réalités, trois chapitres, la fécondation alchimique par laquelle Ève devient ovoïde, androgyne platonicienne unie à son contraire, poule aux oeufs d'or dont les péripéties accouchent d'un neuvième chapitre d'anthologie, miraculeuse virée dans un manège de science-fiction baroque qui tourne et retourne sa masse de symboles délétères afin que la force centrifuge les propulse vers l'extérieur, comme passés dans une gigantesque machine à laver et à essorer. Ce processus se veut fatal aux symboles arborés par ceux qui considèrent les femmes comme des moins que rien. Tel Zéro, personnage viriliste et misogyne (caricature plus ou moins explicite De Sade, Nietzsche et Mishima), qui vise à établir son règne absolu sur une Amérique changée à son image, le Zéro absolu, celui où gèlent toutes les larmes de Tristessa. le sexe n'est pas toujours synonyme d'amour chaleureux, et c'est bien à rétablir celui-ci que travaillent les machines de Carter.

Dommage néanmoins qu'elle ne se soit pas arrêtée au chapitre dix, qui aurait pu faire une décente conclusion. Hélas, dans une insatiabilité féminine revendiquée, Carter en veut plus et fait basculer sans prévenir son livre dans un réalisme magique de dernière minute. Cela rend tout à coup bancal son récit qui jusque-là se tenait. Sans cet écart maladroit, la perfection plastique d'Eve aurait pu s'accorder avec une forme littéraire bien particulière : science-fiction féministe postmoderne, déjà abordée avec Les machines à désir infernales du Dr. Hoffman et réitérée ici de façon un peu plus maîtrisée. Malgré encore une fois cette fin qui échappe à sa créatrice, de son propre aveu, car il est si difficile de s'arrêter quand la passion déborde.

« Mother tried to take history into her own hands but it was too slippery for her to hold. Time has a way of running away with itself, though she set all the symbols to work; she constructed a perfect archetype »
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