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Critique de Entrelespages


En fin d'ouvrage, dans ses remerciements, Benjamin Carteret évoque Henri Bauchau qui lui a permis de "réaliser que les mythes sont profondément actuels et nécessaires". Je crois que c'est ce qu'il est parvenu à faire également avec son Perséphone : un mythe actuel et nécessaire, celui d'un renversement de l'ordre établi, d'un retour à la Terre primordiale, et d'une rage féminine ardente et légitime.

Koré, fille de la déesse de Terre, Déméter la Nourrice, et de Zeus l'Ordonnateur, dieu du Ciel, grandit dans l'ombre, sans pouvoirs et parmi les mortels alors que sa mère enseigne patiemment à ces derniers l'agriculture. Au fil des siècles, sous la tutelle de Déméter, elle s'ouvre au pouvoir du Grand Tout et de Gaïa, déesse primordiale de la Terre. Elle apprend à se connecter à sa nature profonde et se révèle aux yeux des dieux et des hommes comme l'incarnation de Feu de Printemps, le pouvoir de Terre jaillissant. Sa flamboyance et sa vitalité primordiales ne peuvent être contenues par l'Ordre écrasant que Zeus impose violemment. Koré est sûre de sa puissance et pleine de révolte mais elle est brutalement enlevée par Hadès. Alors que Déméter, ravagée par le désespoir, prive la surface de la Terre de sa fertilité; c'est en son coeur, aux Enfers, que la Jeune Fille comprend sa destinée et opère sa mue. Elle devient Perséphone.

La première partie du roman, centrée sur l'enfance et l'apprentissage de Koré auprès de Déméter, est une ode à la puissance et la complexité du lien mère fille. A leur féminité également. Benjamin Carteret tisse patiemment, prudemment, leur relation aussi belle que houleuse. En parallèle, le lecteur découvre et apprend, au rythme de la Jeune Fille, les pouvoirs de la Terre, la philosophie et les mystères qui l'entourent, mais aussi sa place tronquée injustement au sein du panthéon créé par Zeus. L'auteur parvient à faire nôtre le sentiment d'injustice et de révolte, la rage flamboyante, qui embrasent Koré.
La seconde partie est celle de l'Hiver de Déméter et de la naissance de Perséphone reine des Enfers. Encore une fois, l'auteur construit avec soin la relation a priori contre nature entre le dieu des Enfers et la déesse du Printemps.

J'ai aimé l'écriture ample, le rythme parfois lent et presque méditatif imposé par le mouvement de la nature créatrice et fertile des pouvoirs inhérents aux deux narratrices. Cette amplitude se retrouve aussi dans le style, qui, tout en restant simple, possède un relief et un souffle propre à la narration des épopées fondatrices.

A travers les voix en échos de Déméter et Koré, la mère et la fille, Benjamin Carteret ne déroule pas seulement devant nos yeux l'histoire millénaire de Perséphone. Tel un aède, il rend le mythe vivant, vibrant et intemporel.

J'ai absolument adoré circé de Madeline Miller, que je place parmi mes livres doudous. le silence des vaincues de Pat Barker était aussi une très bonne mise en lumière des femmes des mythes antiques. A mes yeux, Benjamin Carteret a produit un travail de réécriture de qualité similaire, très érudit et parfaitement moderne. Très féministe, aussi.
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