J'ai remarqué que les grands font ça parfois : quand ils ne veulent pas dire des choses à voix haute, ils se parlent en silence.
Moi je suis plutôt du genre sans-catégorie-fixe. Ni intello, ni sportif, ni insolent, ni branché, et pas complètement bizarre non plus, je n'appartiens à aucun de ces groupes. Je tente déjà de m'appartenir à moi-même, ce qui est un travail suffisamment compliqué.
- Mais qu'est-ce que tu peux être con quand tu t'y mets ! Bien sûr que non, il n'est pas homo, vu que c'est mon mec.
- Ben alors ? Il est quoi, ton Julius ? Fan de Maître Gims ? Membre de Daesh ?
Impossible de lui dire la vérité ; alors je biaise :
- Non, pire... je crois qu'il est... végétarien.
Moi, je suis libre de faire ce que je veux. Enfin, un peu.
Papa est du genre "traditions, traditions", et mon grand frère Greg, c'est pareil. Alors, quand je dis "je fais ce que je veux", c'est plutôt liberté conditionnelle.
Alors j'ai décidé d'appliquer la technique de l'autruche option poisson rouge : tant que je n'y pense pas, ça n'existe pas. C'est ma grande stratégie dans l'existence.
J'ai pensé que (...) la vie n'avait pas besoin d'être une excellente et très pitoyable tragédie, mais qu'on pouvait plutôt en faire une très excellente et très heureuse comédie, où les baisers remplacent le poison.
Ce cliché doit être récent, car c’est la première fois que je le vois. Sur celui-ci, les yeux de Romy brillent autant que le jour de ses 9 ans, mais ses nattes ont disparu et son sourire ne s’adresse pas à moi. Il est dirigé vers le garçon qui a collé sa tête contre la sienne et tire la langue à l’objectif. Julius.
Le sourire rempli d’espoir et d’amour que lui lance ma fille me terrifie.
Je replace la photo là où je l’ai prise et m’assois sur le lit en soupirant.
D’un seul coup, je me sens vieux. Vieux et fatigué. Julius a l’air gentil, mais je sais à quel point l’amour peut faire souffrir, et il ne se passe pas un jour sans que je me dise qu’il faudrait que je parle à Romy, que je lui dise de se méfier, de faire attention… mais je n’y arrive pas. Pour la première fois depuis qu’elle nous a quittés, j’aimerais presque que Valérie soit là. Romy n’avait que 6 ans quand leur mère est partie et, à part Céline, ma petite fille n’a vécu qu’avec des hommes. Je sais qu’elle est solide et capable de se défendre ; je sais qu’elle a la tête sur les épaules et qu’elle n’est pas du genre à faire n’importe quoi. Mais tout de même. L’amour change les gens. Avec ce que m’a fait Valérie, je suis bien placé pour le savoir.
Il sont tombés d'accord sur le fait qu'ils n'étaient pas d'accord, et ont décidé de vivre avec ça, de se concentrer sur ce qui les rapprochait plutôt que sur leurs divergences.
Parfois, je me demande si je ne préfère pas l’autre version, celle avec papa qui transforme maman en terrine. Au moins, une terrine, tu sais pourquoi elle ne t’écrit pas.
Mes yeux débordent sur mes joues; l'eau salée qui s'envole est celle de mes orages intérieurs.