La vérité exige d'être formulée à bout portant. Alors, elle tue. Le sachant, on tient en joue sans jamais tirer ... Ou à blanc.
...Car c'est bien ça dont il s'agit: la maison va être vendue et je donnerais cher pour ne pas avoir à la vider, comme l'on refuserait d'aller à la reconnaissance d'un corps. Je savais ma jeunesse révolue; aujourd'hui j'ai la tardive et imparable occasion d'en déplorer enfin la disparition .Je n'ai pas vu le temps filer ; écrire, devenir, ne pas se retourner. Et je n'ai pas eu grand mal à laisser cette vie tant qu'elle n'était pas enterrée. (p. 54)
Et d'où vient ce courage subi ou consenti qu'il faut pour vivre sans le divertissement, l'enchantement et l'encombrement de l'autre . (p. 148)
Il m'arrive de connaître des moments d'allégresse qui viennent généralement se nicher dans les transitions : voir Villerville se peupler de promeneurs le week- end, puis retrouver la plage désertée le dimanche soir. Le village devient fantomatique. Je suis seul, d'entre toutes ces bâtisses barricadées, à contempler la marée dans sa mécanique indifférente au nombre de témoins : impression d'un obscur privilège. Jusqu'à ce que la fin de semaine ranime la côte. Alors les cerfs- volants bariolés et les cris des enfants volent de nouveau la vedette.
Décommandé le taxi.
Pas pris mon train.
Soirée suspendue. Descendu une bouteille de vin, repassant le film de ces deux derniers jours.
Je suis monté me coucher. Et c’est tombé : cafard à couper au couteau. Penché à la fenêtre, à respirer la nuit, juste ça, j’encaisse en quelques secondes une bouffée qui me rappelle à ma vie ici, toute ma vie ici, d’un coup, sans image aucune, juste un parfum d’extérieur qui ne me terrasse pas mais me laisse avec une lame feutrée qui remonte dans le thorax. Tout est là brusquement, qui n’était que commodément « loin », passé.
Qu’est-ce que je fous là ?
Manifestement, elle pensait à autre chose. Avant, je lui demandais plusieurs fois par jour à quoi elle pensait. C'est une question qu'on ne pose qu'à la personne qu'on aime. Une intrusion d'amour impérieuse. Quand l'autre échappe. (p. 172)
4 décembre 2011
A propos de son roman -Détours-, René Crevel écrit cette phrase modeste: " J'ai déposé mon bilan". Telle est sans doute la vocation de ma petite entreprise normande: déposer mon bilan. Le premier. (p.189)
Qu'on ne compte pas sur moi pour écrire notre roman familial. J'ai bien assez de mes propres fantômes. (p. 194)
-Et puis après, on se fait un petit tour sur la plage ? Comme au bon vieux temps! J'ai acquiescé, perplexe s'agissant de ce "comme au bon vieux temps". Il n' y a pas de bon vieux temps, Hervé, il n' y a que du temps révolu. Qu'attends-tu d'une balade en bord de mer quand la vie a dû tout mettre en oeuvre pour nous séparer et engloutir nos fragiles attaches ?
Irène,
(...) Le lien qui se tisse entre un auteur et son lecteur est bien inégalitaire: la lumière se pose toujours le même. M'autorisez-vous à braquer la poursuite sur vous à présent ?
Aurélien