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Critique de batlamb


Pas de paix dans Londres. Même après Guerre, qui n'était guère épais. Londres s'avère plus substantiel et déroule dans un premier temps de longues phrases descriptives, semblables aux capiteuses volutes du smog. Ferdinand, le narrateur de Guerre, nous raconte la suite de son histoire : il est parti se réfugier dans la capitale britannique pour éviter d'être renvoyé au front (on est en 1916). Toutefois, son problème le plus immédiat n'est pas le front mais l'oreille, cassée à la guerre. Elle fait plus de tintamarre qu'un capitaine Haddock lancé dans une litanie d'insultes, ce qui n'est pas pratique pour dormir et conserver une bonne santé mentale. Mais le fait de concevoir le monde à travers le bruit permet quelques réflexions non dénuées d'intérêt :
« Toute opinion n'est qu'une entorse un peu douloureuse qui fait hurler quand on force. »

Un tel relativisme permet de se distancer de la violence du milieu de la prostitution, au sein duquel Ferdinand trouve refuge. Cette violence éclate parfois de façon spectaculaire et chaotique, notamment dans de mémorables scènes de bagarre, comme des échos parodiques des combats faisant rage sur le continent. Dans tout ce bruit et ces grouillements, Ferdinand hallucine, son imagination s'affole, et le récit flirte parfois avec le fantastique (mon passage préféré du roman met en scène un manoir hanté).

Écrit vers 1934 (donc avant les fameux pamphlets), ce roman illustre une fois encore la complexité de Céline. En effet, son narrateur Ferdinand se découvre une vocation pour la médecine grâce à un personnage juif, qui n'est ni pire ni meilleur que les autres. Ainsi Londres nous donne-t-il à voir un Céline paradoxal, entre misanthropie et humanisme :
« J'aurais voulu je crois guérir toutes les maladies des hommes, qu'ils souffrent plus jamais les charognes. On est étrange, si on l'avouait. »

Dans la souffrance crasseuse des bas-fonds de Londres, l'envie de médecine et l'envie de littérature surgissent comme des fleurs du mal, nées dans l'ordure, le bruit et la peur, et prenant la forme du style célinien, poésie tantôt douce-amère, tantôt éructante, qui touche à la fin du renvoi :
« Tout ça au fond c'est de la panique. C'est le roman qui bouillonne envers et contre tout au fond du sac avec n'importe quel chagrin qu'on entonne, détresse, déroute, trahison, tout fait boule et prisme et finit par chanter. Ah, les âmes bien nées, quel foutre ! »

Toutefois le roman est un peu inégal. Les obscénités à tendance pornographiques s'accumulent parfois jusqu'à la saturation, et le style n'est pas toujours très homogène, certains chapitres semblant écrits un peu à la va-vite pour faire avancer l'intrigue (on voit que l'on a affaire à un manuscrit de premier jet, comme certaines notifications de mots manquants nous le signalent parfois). Mais l'intrigue en question est de bonne tenue, truffée de personnages plus grands que nature, cherchant à exister à leur façon dans une atmosphère asphyxiante qu'ils alimentent par leur comportement irresponsable, comme si le gaz moutarde et le gaz hilarant participaient de l'atmosphère de Londres.
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