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Critique de Zebra


Zebra
24 septembre 2015
Édité en Livre de Poche, « Bourlinguer » -qui fut écrit par Blaise Cendrars en 1946-1947- constitue le troisième des 4 volumes de Mémoires de l'auteur ; Blaise Cendrars dira que ce « sont des Mémoires sans être des Mémoires ». A la base, « Bourlinguer » est une oeuvre de commande, chaque récit (11 récits de dimension très variable, portant le nom d'un port, réel ou fictif, le port de « Gênes », où Cendrars nous livre des confidences sur son enfance à Naples, représentant à lui seul un tiers de l'ouvrage) devait être accompagné d'une gravure de Valdo Barbey, peintre et décorateur français d'origine suisse, comme Cendrars. le développement considérable de certains récits a toutefois transformé le projet initial et produit une oeuvre singulière, non par sa taille (440 pages) mais par le souffle qui la porte, par le côté singulier du style de son auteur, par l'originalité du propos, par l'érudition qui sous-tend l'ouvrage et par la leçon d'humanité qui nous est donnée.

De son vrai nom Frédéric Louis Sauser, Blaise Cendrars s'est inventé son pseudonyme car il était convaincu que « l'acte de création artistique a lieu lorsque le poète est tel une braise, qui se consume au cours de la création, puis s'éteint pour se transformer en cendres »: de là, Blaise comme braise, et Cendrars comme cendre. Et, à n'en pas douter, « Bourlinguer » est l'oeuvre d'un poète et la preuve incontestable de cet acte de création artistique, de cette braise qui animait l'auteur. Placé sous le signe du voyage (Blaise Cendrars nous conduit de port en port à travers le monde entier), de l'aventure, de la découverte et de l'exaltation du monde où l'imaginaire se mêle au réel de façon inextricable, « Bourlinguer » constitue un mélange complexe de poésie, de reportage et de souvenirs personnels.

Le souffle qui porte l'ouvrage est puissant : « je veux vivre et j'ai soif, toujours soif ». le style de l'auteur est singulier, Blaise Cendrars produisant assez facilement des phrases qui font près d'une page (cf. ma citation). l'originalité du propos est évidente : un port, c'est un peu comme « un navire qui peut vous mener partout » et il y a « des phares qui scintillent comme une lampe dans un cercle de famille » ; c'est en quelque sorte « une bouteille sans millésime ». La poésie est à fleur de pages, en permanence. L'érudition qui sous-tend l'ouvrage ne manquera pas d'impressionner : il y a des anecdotes historiques originales et parfois saugrenues, mais parfois aussi de superbes pépites. Dans certains cas, on ne sait plus si elles relèvent de la fiction ou de la réalité (exemple des homoncules de Kueffstein, page 154). Blaise Cendrars nous donne également une leçon d'humanité : la vie et le monde vont de l'avant, alors « il ne faut jamais revenir au jardin de son enfance qui est un paradis perdu, le paradis des amours enfantines » même si y revenir c'est tenter de « retrouver son innocence » (page 115). Or, cette innocence, Blaise Cendrars l'a perdue très tôt : il fut tout d'abord confronté à l'itinérance de sa propre famille, son père, homme d'affaires un peu niais et instable, déménageant sans cesse avec femme et enfants au gré de ses voyages ; puis, engagé volontaire, Blaise Cendrars a subi l'épreuve du feu jusqu'à ce qu'une rafale de mitrailleuse lui arrache le bras droit et le conduise, après amputation (en 1915), à vivre une vie pour le moins différente. Fuyant sans cesse de par le monde, l'auteur s'est rempli d'impressions, telle une éponge. Confronté à la montée du progrès, essentiellement technique, social à la marge, l'auteur a de curieuses réactions, que ce soit devant l'ineptie des « photos de la nature vendues à des millions d'exemplaires en cartes postales » ou devant le Photomaton qu'il qualifie de « délégué de Satan ».

En lisant « Bourlinguer », le lecteur découvre un homme passionné et meurtri. Des questions fondamentales hantent en effet l'auteur : au final, que doit être l'homme et que doit être le monde ? Un contemplatif luttant comme un boxeur rencontrant un adversaire furieux, voilà ce qu'est Blaise Cendrars et le lecteur pourra compter ses cicatrices : « on ne les voit pas toutes et il n'y a pas de quoi en être fier ». L'auteur ne souhaitait ni poétiser ses sensations, ni poétiser l'exotisme qui transpire tout au long de l'ouvrage : il voulait « dans la cacophonie générale, restituer le silence humain ». Meurtri ou désespéré ? Ne vous y trompez pas : « il faut aimer les hommes fraternellement » (page 212) et vivre avec exubérance car « la folie est le propre de l'homme » (page 207). Pour cette oeuvre singulière et forte, je mets quatre étoiles.

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