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Critique de horline


Il y a des oeuvres qui rebutent même leurs auteurs. Soit parce qu'elles révèlent plus qu'ils ne le voudraient sur eux-mêmes, soit parce qu'elles s'attaquent à quelque chose qui dépasse les normes sociales. Et parfois, on retrouve les deux motifs concomitamment, c'est le cas pour L'imposteur qui déshabille Enric Marco de tous ses attributs de héros national. Roi déchu quelques années avant la parution de ce livre de son trône de résistant anti franquiste et de survivant de l'Holocauste, Marco se retrouve totalement nu ou presque sous la plume de Javier Cercas.
C'est pas beau à voir.
Car menant l'enquête, l'auteur espagnol démonte méthodiquement le château de sable que s'est construit Marco avec un aplomb sans pareil. Attelé à recomposer son parcours, Cercas use toutefois de la littérature pour mettre en scène sa propre investigation ou pour évacuer quelques unes des zones d'ombre. C'est certainement pour cela que l'auteur utilise volontairement l'expression de roman sans fiction et non le terme de biographie qui est quant à lui totalement absent.
Les faits grossièrement reconstitués et les certitudes peu à peu acquises donnent en tout cas un portrait fascinant à lire. On découvre un anonyme, voire un invisible prisonnier d'un narcissisme flamboyant qui n'a pas seulement menti et réinventé sa vie, il est également parvenu quelques facteurs extérieurs aidant à inscrire son nom dans l'histoire de son pays. le prestige du résistant et du déporté gagné ainsi que les mensonges de plus en plus sophistiqués ont rendu sa falsification presque indétectable et lui presque invulnérable.

A partir du moment où l'usurpation faisait consensus au sein des institutions faute de contradicteurs, et les mensonges disséminés dans des vérités irréfutables ayant revivifié la mémoire collective (laquelle avait été balayée par la transition démocratique après la mort de Franco), il n'était pas confortable d'oeuvrer à révéler l'imposture ou à la décortiquer. Les nombreuses répétitions obsessionnelles de l'auteur en témoignent, de même que le dialogue imaginaire entre l'auteur et Enric Marco...il met en évidence les défis et les contradictions morales de Javier Cercas qui, après tout, se sert de la fiction également dans ses oeuvres pourtant hantées par la quête de vérité.

Bien que je ne sois pas une admiratrice de l'esthétique littéraire de l'auteur, cette enquête a été passionnante à bien des égards. Javier Cercas ne s'est pas contenté de déconstruire la vie d'un homme, il a tendu un miroir dans lequel on voit le reflet de l'Espagne piégée par le culte de la mémoire et celui de l'auteur en proie à ses propres contradictions. «Marco n'était pas seulement fascinant en tant que tel, mais aussi par ce qu'il révélait des autres».
S'atteler à écrire sur un personnage réel est toujours une entreprise risquée car on risque de tomber dans la complaisance de mauvais goût. Mais Cercas est parvenu à éviter cet écueil en s'engageant dans le récit prudemment. Et lorsque l'exercice est réussi, on se rend compte combien la fiction est paradoxalement importante dans la transmission de l'Histoire...
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