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Critique de Woland


El Ingenioso Hidalgo Don Quixote de la Mancha - Segunda Parte
Traduction : César Oudin, revue par Jean Cassou
Notes : Jean Cassou
Présentation : Jean Carnavaggio

ISBN : 9782070379019

Eh ! oui, il fallait bien que cela arrivât : puisque j'étais allée jusqu'au bout du premier tome, et avec plaisir, je devais terminer le parcours . Bien que le nombre de pages soit à peu près le même à un ou deux feuillets près, je me suis montrée plus rapide dans la lecture de ce second volume. Il faut dire que j'avais pris le rythme et que la troisième et dernière "sortie" de Don Quichotte et de Sancho Pança se trouve considérablement relevée par leur rencontre avec le duc et la duchesse (leur patronyme n'est pas précisé), couple d'aristocrates extrêmement riches et entichés eux aussi, à leur manière, de romans de chevalerie.

Ces romans les ont distraits surtout en raison de leur extravagance. Là où, pour le Quichotte, tout est sérieux, le duc et la duchesse ne trouvent que mascarade et gausseries diverses. Cervantes ayant eu l'idée - très moderne d'ailleurs - d'évoquer dans le texte la parution du premier volume des aventures de son Don Quichotte à lui, dont il attribue la paternité à un Maure nommé Cid Ben Engeli, le duc et la duchesse ont évidemment entendu parler du recueil et l'ont dévoré avec force éclats de rire. du coup, ils se font tout le plaisir qu'on s'imagine de recevoir en leur château, en chair et en os, le Chevalier A La Triste Figure, désormais Chevalier des Lions, et son fidèle écuyer.

Ils les traitent somptueusement mais, esprits semble-t-il assez puérils, ne se font pas faute de concocter mille et un tours à leur jouer pour conforter le premier dans sa certitude d'appartenir à la chevalerie errante et le second, dans l'idée qu'il finira par lui venir un "gouvernement", d'une île de préférence. de fait, le duc nomme bientôt Sancho gouverneur de l'une de ses provinces, avec ordre à ceux qui s'y trouveront de lui inventer niche sur niche afin de voir si la simplicité naturelle du brave Sancho y résistera. Mais, à la profonde stupeur de toutes et de tous, Sancho s'en tire fort bien et juge et tranche comme un vrai Salomon. Mieux : l'exercice du pouvoir finit par le dégoûter et c'est de son plein gré qu'il abandonne son "gouvernement" pour s'en aller retrouver son bon maître, Don Quichotte.

Pendant ce temps, au château du duc, un Don Quichotte mélancolique - l'absence de Sancho lui pèse - se voit en proie aux provocations d'une certaine Altisidore, jeune femme qui se déclare effrontément amoureuse de lui et qui souhaiterait qu'il lui donnât la main plutôt que de servir la toujours incomparable Dulcinée du Toboso. Ajoutez à cela que, avant la rencontre entre le duc et la duchesse d'une part, et Don Quichotte et son écuyer d'autre part, ce dernier a réussi à faire croire à son maître, lequel (contrairement à ce qu'il appert dans le tome I) n'a en réalité jamais vu - "de ses yeux vu, vous dis-je" - la fameuse Dulcinée, que la malheureuse a été victime d'un enchanteur et transformée en une paysanne rougeaude et sentant l'ail et le gousset. Fidèle néanmoins à la parole donnée, fût-ce à une illusion, le Quijote n'en réserve pas moins son honneur et sa chasteté pour sa Dulcinée, ce qui amuse énormément les initiés et suggère à l'infernal couple ducal une nouvelle mômerie : faire apparaître l'enchanteur Merlin en personne sur un char somptueux, lequel Merlin déclarera que le seul moyen de mettre fin au sort indignement jeté sur Dulcinée est que Sancho Pança accepte de se donner, de bon coeur et en pleine volonté, trois-mille-trois-cent et trente-trois coups de fouet (trois mille trois cents minimum, en tous cas).

Du côté du village de Don Quichotte, curé et barbier, alliés au bachelier Carrasco, n'ont pas renoncé à faire réintégrer ses pénates à leur seigneur et maître. Une première tentative, au tout début de l'histoire - Carrasco s'étant déguisé en chevalier errant, dit le Chevalier des Miroirs, désireux de combattre et de vaincre Don Quichotte afin que celui-ci se soumette à sa volonté - est pour le bachelier un cuisant échec. Il s'en revient au final, cette fois-ci sous le titre de Chevalier de la Blanche Lune et se montre cette fois-ci plus heureux. Vaincu, Don Quichotte doit accepter de retourner à son village et d'y passer au moins une année sans songer à reprendre ses vagabondages.

Las ! le terme est venu pour le Quijote. La tristesse de ne se plus voir chevalier errant, ne serait-ce que pour un an seulement, l'âge sans doute, une santé que tout le monde dit fragile, finissent par l'emporter non sans qu'il n'ait recouvré la raison et renié avec beaucoup d'amertume ces romans de chevalerie qui firent ses délices - et assureront, sans qu'il le sache, la postérité de son nom et de celui de son écuyer.

Au-delà d'une histoire qui alterne émotions et rires, "Don Quichotte" pose nombre de questions : le Quijote est-il vraiment "fou" ? Et Sancho, si simple soit, mais aussi fort capable de diriger une province avec la finesse d'un vrai politique, ne l'est-il pas autant que lui ? Ou n'est-il que subjugué par un personnage dont le charisme, quoique assez déroutant, s'affirme peu à peu, sans avoir l'air d'y toucher, comme incontestable ? Et que dire du duc et de la duchesse, assurément les plus fous du deuxième tome , capables de dépenser des sommes immenses et de déployer des efforts inouïs pour se livrer à des tours qu'un gamin de dix ans jugerait lui-même comme farces d'assez mauvais goût ? Qu'est-ce que la folie, qu'est-ce que le bon sens ? N'alternent-ils pas en chacun de nous au gré des circonstances et avec plus ou moins de puissance ? Cervantes n'évoque certes pas les gènes et l'ADN mais le lecteur moderne, lui, peut y songer. Celui qui se complaît aux lectures philosophiques trouvera en outre dans le roman de l'Espagnol une foule d'interrogations profondes sur la nature originelle de la vérité et de la sagesse. En un mot comme en cent, le "Don Quichotte" de Cervantes est une véritable mine d'or qui, malgré des dehors souvent bouffons, a traversé les siècles parce ce que son seul et unique sujet, c'est vous qui me lisez - et moi qui écris, et eux, à côté, qui nous regardent. Cet esprit vagabond, dans ce corps si maigre et si ridicule, c'est le nôtre quand il songe que rien n'est plus beau que la liberté et la noblesse. Quant à l'esprit de Sanco Pança, c'est notre bon sens quand il décide de n'en faire qu'à sa tête et de vérifier si, par hasard, il n'y a pas d'autre voie plus juste à expérimenter que celle qu'il prend habituellement ...

Longtemps, j'ai douté de l'universalité de "Don Quichotte." Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Don Quichotte et Sancho Pança sont les reflets de nous-mêmes, qui s'opposent, s'affrontent, fusionnent et se complètent avant de se séparer à nouveau pour reprendre le cycle. En cette époque périlleuse, où toutes les valeurs s'effacent, s'enfuient, se cachent ou n'osent plus donner de la voix, il est bon de savoir que, au fond de tout être, pourvu qu'il ait le courage de les réveiller pour combattre la malhonnêteté et l'ingratitude, sommeillent un Don Quichotte ET un Sancho Pança, équipe redoutable ô combien en raison de la foi inconditionnelle qu'ils conservent pour ce qui est beau et bon. Tant que cela sera, la race humaine pourra espérer. Merci à Miguel de Cervantes Saavedra pour l'avoir gravé de si belle manière dans le marbre de l'Imaginaire universel. ;o)
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