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Critique de Lamifranz


Des enfants, il y en a dans tous les livres de Gilbert Cesbron. le premier roman écrit par l'auteur, en 1944 s'intitulait déjà « Les innocents de Paris » et racontait l'histoire d'une poignée de titis, de poulbots, d'enfants de la rue qui survivaient dans les quartiers déshérités de la capitale. le ton était donné à l'oeuvre : l'enfance ne quittera plus Gilbert Cesbron. Et ce titre : « Les innocents de Paris » est tout un programme » : l'enfance, c'est l'innocence. C'est la société qui, au fur et à mesure de l'évolution de l'enfant, le modèle, le sculpte, et parfois le pervertit. Vision rousseauiste, sans doute, mais transcendée par Cesbron avec cet élément capital qu'est l'amour, qui peut arriver à corriger, ou du moins atténuer, les vicissitudes de l'existence.
« Mais moi je vous aimais » en est la démonstration.
Yann est un petit garçon de sept ans au début de l'histoire. Il est comme on dit « un peu spécial ». Notre langue de bois d'aujourd'hui dirait avec cynisme et cruauté, tout en étant dans le vrai : « c'est un handicapé léger ». Nous sommes dans les années 70, la psychiatrie infantile avait fait quelques progrès depuis les fadas et les innocents de village, mais quand on n'était « pas comme les autres », on vous le faisait sentir. Yann l'apprend à ses dépens quand on le traite de tous les noms, oh gentiment, personne ne lui veut de mal, mais « c'est juste que… » Un seul homme lui accordera un regard différent, Jean-Louis. Mais la société des « gens normaux », des « neurotypiques » comme on dit chez les autistes, n'est pas prête à accueillir les gens « anormaux » (ça c'est le terme cru et abominable qu'on utilise couramment).
Le thème du roman, il est dans le titre : « Mais moi je vous aimais » : Il ne s'agit pas ici seulement d'un roman qui parle d'un cas particulier, d'un cas clinique : c'est un roman d'amour. L'amour impossible et immense qu'un petit garçon veut donner et que personne ne veut recevoir, ni même voir. le handicap de Yann n'est pas si profond qu'il empêche les sentiments, au contraire, il les amplifie et sa demande d'amour est infinie. D'autant plus que s'il demande de l'amour, il est également prêt à en donner. Des tonnes. Mais en face, les gens « normaux », « sages » « intelligents » ont décrété qu'il n'y avait rien à tirer de cette tête de bois, et surtout pas un sentiment quelconque : « le petit con » c'est ainsi qu'on l'appelle, sans méchanceté, mais sans affection.
Il n'y a qu'un autre assoiffé d'amour qui peut répondre. Mais est-ce suffisant. Les gens qui refusent de voir la vérité en face, ou de la voir différemment, sont contre eux. Mais au-delà d'eux il y a la machine à emboutir de Saint-Ex, l'Administration, le Règlement, la Loi, tout ce qui met les choses dans un ordre établi, en dehors duquel on est rejeté. Et cette machine-là, bien qu'elle soit animée par des hommes et des femmes, ne connaît pas l'amour. L'amour, la compréhension, le dialogue, la main tendue, ce sont des notions d'êtres humains (en principe) et pas des notions de machines…
Le drame de Yann est donc l'incompréhension : il aime tant et voudrait tant être aimé en retour. Mais l'incompréhension est également dans le cas d'en face, et se traduit de plus par le refus, par peur, par bêtise, par conformisme idiot… Et pourtant, il suffirait d'aimer…
Gilbert Cesbron est le romancier de l'enfance, de l'enfance malheureuse en particulier, c'est aussi le romancier du partage, de la compréhension mutuelle, de l'acceptation de la différence, et de l'amour.
Un roman certes, à replacer dans son époque (le suivi de tels enfants est beaucoup mieux assuré aujourd'hui, même s'il y a encore beaucoup de progrès à faire), un roman un peu daté par son style parfois appuyé (Cesbron sait être pathétique sans toutefois tomber dans le pathos), mais d'une force émotionnelle qui n'a pas pris une ride. Un roman qui ne peut laisser personne indifférent.

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