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Critique de Nemorino


« Que peut-il bien rester de si nu dans ce corps au sexe voilé ? » C'est cela, le mystère Botticelli ! On nous a enseigné à l'école que, par rapport au Moyen Âge, la Renaissance tombe en extase devant la beauté du corps humain. Il faut lire cet ouvrage pour se rendre compte de la dimension de cette extase !
« le rêve Botticelli » m'a permis de concilier tant de contradictions, de contre-courants intimes, d'amours, par sa générosité. Il m'a parlé d'abondance de coeur. Il enhardit, attendrit, exalte. C'est l'amour dans toutes ses expressions et tous ses envols. Jamais peindre sans désir ! Et oui, il n'y a pas d'art sans amour dans les doigts, dans les veines !
Les génies, leur bonheur, leur plaisir, leurs doutes, leur désespoir, leur sentiment d'être maudit puis leur renaissance miraculeuse, tout semble plus fort que chez le commun des mortels. Quel coeur sensible, ce Botticelli ! Son humanité touche profondément, bouleverse. Son enfance démuni, son refuge après des chats, ses espoirs frêles, ses faiblesses, ses limites aussi. « Ses lignes comme un garde-fou ». Il travaille, Dante l'accompagne, il n'a pas d'autre vie que l'art, condamné à se boucher les oreilles, et pourtant il arrive à trouver son art vain… Mais il continue, il peint pour des fous !
Les personnes qui gravitent autour de lui sont l'une plus complexe que l'autre, elles sont toutes rendues sans pudibonderie. Ici, la nudité, sans être chaste, est totale, elle est transcendée. Aussi bien du point de vue du nu artistique que de la nudité d'âme qui se révèle dans toute sa vérité. C'est le sexe de l'artiste gonflé de plaisir et gonflé de larmes. « Tout ça pour quelques instants de grâce ! »
Le livre nous brosse le portrait de Léonard de Vinci, être universel pour Botticelli, « collé sur sa rétine », lui manquant cruellement, à la fois sa pierre de touche dans l'art, son rival dans sa vie amoureuse, son double en ce qui concerne leur amour absolu des animaux et leur végétarisme affecté. Léonard aime les oiseaux, ouvre les cages, Botticelli, ses félins sauvages. Il y a même quelque chose de sensuel dans l'admiration de Botticelli pour l'artiste polymathe. Il y a même du grand Léonard dans son Augustin !
Un imbroglio diabolique lie Botticelli avec la famille Lippi. Pipo, son premier amour, ce papillon insatiable que Botticelli ne cesse jamais d'aimer, et qui sera son élève le plus éminent : Filippino Lippi. Sandra, une ange de beauté, ange délurée, puis ange de chagrin. Lucrezia Lippi, la veuve de son maître, Fra Filippo Lippi, Femme que Botticelli vénère, c'est sa Madone, sa Sainte Vierge, et elle l'aime comme un fils.
Botticelli reste fidèle à toutes ses amours, il les garde toutes, serait-ce la raison de ses souffrances mystérieuses !? D'où peut-être cette beauté affectée d'une peine légère que les critiques d'art ont nommée « morbidezza ».
Il y a aussi les Grandi, les mécènes, les Médicis, protecteurs des arts, et les modèles de Botticelli, Simonetta qu'il aime comme une soeur, la chatte Lupa...
J'ajoute , comme un leitmotiv, qu'il me faut infailliblement une motivation souterraine pour aborder une oeuvre, un livre en l'occurrence. Celui-ci a capté mon attention dans le kiosque aux livres du parc des Poètes bien qu'il soit tout jaune de dégoulinades inconnues. Je me suis souvenu d'emblée qu'un être cher m'avait chuchoté que, de toutes les représentations de Vénus, indépendamment des matériaux choisis, sa préférée était celle de Botticelli ! Faut-il ajouter que ça remonte à l'aurore de ma vie pour que je ne l'oublie pas ? D'un autre côté, j'ai cette mémoire de Florence, de ses étalages de maroquinerie, de ses calèches de promenade, de la musette de foin fixée contre la poitrine des chevaux, de mes visites de la Galerie des Offices, du palais Pitti, du Palazzo Vecchio, du palais Strozzi, de mes vertiges devant les fresques dans les églises (quand elles n'étaient pas en restauration ! ) … Je me souviens des basiliques, des cathédrales, des ponts traversés, du dôme de Santa Maria del Fiore, mais aussi des jardins, des fontaines, d'une belle colline avec une vue splendide ! Même si ma chambre n'était pas avec vue sur Arno. Car le film de James Ivory "Chambre avec vue", c'est encore une autre allégorie de Florence !
Botticelli, fils de tanneur et inventeur de couleurs, il a son bleu fragile et timide, son vert d'olivier, son rouge cerise inimitable. le roman est sublime de ses descriptions de l'atelier, « la bottega », des mélanges de teintes, de ses interprétations profondes des tableaux si novateurs, de son apothéose de la nature qui est toujours l'écho des sentiments des héros. Quand Botticelli peint en plein air, il y a de quoi penser à Giverny de Monet, tellement son oeil s'y aiguillonne, et c'est un Carnaval de Printemps ! On y découvre toute une symbolique des détails des toiles célèbres. On apprend que Botticelli sait se comporter en styliste raffiné jusqu'aux coiffures, robes, bijoux et chaussures !
L'écriture de Sophie Chauveau, c'est une écriture ingénieuse où il y a de l'esprit, des jeux de mots, « fresques et frasques », mais c'est l'émotion et l'acuité de son regard qui mènent. Pour résumer l'ambiance du livre, je dirais qu'elle est érotisée de fond en comble. « C'est un ballet qu'on suspend quand la danseuse a la jambe le plus haut levée » ! Cependant on y trouve des caresses mystiques. C'est une conception de l'art où tout peut glisser vers l'orgie et la débauche sans le faire et où je me sens si bien.
Puis le climat change, comme si la peine venait toujours après la joie. La peste-la Visiteuse, la dictature religieuse de Savonarole, la milice d'enfants embrigadés, le bûcher s'abattent sur Florence. le Beau est pourchassé jusqu'à l'obligation de mettre à l'abri des toiles les plus « impies ». Les corps sont mutilés, surtout les mains créatrices, les poètes, les philosophes assassinés, Jean Pic de la Mirandole, Ange Politien… Botticelli évolue, aussi bien sa mélancolie coutumière que ses amis courtois et noceurs. Tout se transforme, devient plus grave. Des larmes de retrouvailles, des révélations, des pertes atroces de proches, que d'épreuves pour un fragile bonheur, un sentiment inconditionnel à la fin ! « Les ceps de vignes, les longs cyprès étirés, sertissent son univers de lignes épaisses ou fines, mais toutes tracées par un pinceau trempé dans l'absolu. »
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