La tactique du gouvernement syrien était plus qu’efficace. Effrayer la population. Répandre la terreur. Traumatiser les Syriens. Les dissuader de grossir les rangs de la rébellion ou de déserter l’armée. Elle comprit désormais la longévité inattendue du régime alaouite. Celui que tout l’Occident imaginait balayé en quelques semaines tenait depuis plus de quinze mois.
La peur s’empara d’elle. La honte la déchira. Le visage de son père surgit en elle. Un instant désagréable comme une seringue loupant une veine à plusieurs reprises.
Alors qu’aucun médecin n’était autorisé à soigner les adversaires du régime. Quelques-uns, courageux et désinvoltes, prodiguaient des soins dans des dispensaires clandestins. Au péril de leur vie.
Elle ne se battait pour rien. Son rôle n’était que de transmettre, témoigner, choquer, émouvoir, faire réagir parfois… Mais son appartement parisien cossu l’attendait à chaque fin de voyage, à chaque fin de mission. Son quartier du 16e arrondissement ne craignait nullement les bombes. Les déjections canines constituaient, à elles seules, l’unique sujet de revendication populaire. Avec l’abaissement du bouclier fiscal.
Une capture signifiait la prison pour les étrangers, la mort pour les passeurs syriens. Son devoir à elle était de mener à bien sa mission. Pour faire bouger l’Occident. Cela paraissait utopique, mais Nora savait aussi qu’une photo pouvait avoir ce destin. Elle ne le savait que trop bien. Son père avait connu ce privilège. Simon Schaffer. Le grand Schaffer, comme l’appelaient certains de ses confrères grands reporters – tantôt par jalousie, tantôt par admiration. Il avait connu les prix et la gloire grâce à une photographie, devenue culte dans le microcosme des reporters.
Deux journalistes télé et leur cameraman l’accompagnaient. Leur mission était différente de la sienne. Pour eux, filmer la réalité des combats entre les opposants au régime syrien et les troupes gouvernementales. Montrer le quotidien infernal de ces combattants. Et cela, dans un contexte où les journalistes étrangers étaient persona non grata. Nora, elle, avait pour objectif de réaliser un reportage photo sur les enfants impliqués, bien malgré eux, dans ce conflit.