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Critique de Osmanthe


Noam Chomsky, américain, juif et d'origine biélorusse et ukrainienne, rien que ça, est un des plus fameux chercheurs linguistes de l'après-guerre. Mais ne me demandez pas quelle est sa théorie phare, je serais bien incapable d'y comprendre quoi que ce soit. le bonhomme, qui a 95 ans à l'heure où ces lignes sont écrites, est aussi connu pour être un intellectuel contestataire, particulièrement virulent envers les élites politiques et économiques américaines, dans leur conception capitaliste, ultra-libérale économiquement parlant, et en réalité anti-démocratique de la gouvernance des affaires. Pour ce faire, il a donné de nombreuses conférences, dont une à Albuquerque, Nouveau-Mexique, le 26 février 2000.

Les excellentes éditions Allia ne cessent d'en rééditer le texte depuis, et c'est assez percutant ! Car Chomsky n'y va pas avec le dos de la cuillère.
La démocratie est dévoyée car le pouvoir mondial est concentré aux mains d'institutions non élues par le peuple, contrôlées par les Etats-Unis, la bourse de Wall street, la Fed, le FMI, l'OMC, l'OTAN, le G7 et d'autres…La souveraineté des Etats est ainsi fictive. Les Etats-Unis font régner l'ordre mondial partout où leurs intérêts, la défense de ce capitalisme triomphant, sont menacés. A l'intérieur des pays soi-disant démocratiques, la souveraineté du peuple n'existe pas davantage, car les gouvernements conduisent des politiques qui ne répondent pas aux attentes du peuple, mais préservent les intérêts financiers et privilèges des puissants. le peuple est spectateur de la démocratie, il est simplement invité à choisir, au travers des élections, un candidat parmi un cercle de nantis qui possèdent le pays, le patrimoine étant très concentré. Les techniques pour saper la démocratie peuvent être l'essor d'une société de consommation de masse qui plonge le peuple dans une apathie qui laisse le champ libre aux élites pour poursuivre leur but d'enrichissement, ou au contraire saper la sécurité des salariés en menaçant de les muter, ou les licencier, ce qui permet d'asseoir la discipline par la peur.

L'auteur pointe, avec à-propos me semble-t-il, que dès que le peuple manifeste et récrimine, les politiques, avec le renfort des media complaisants, ne parlent pas de ce qui devrait être l'expression normale de la démocratie mais de « crise démocratique ».

Ou encore, que les discours du type « il faut lever les contraintes sur la flexibilité des salaires », ne profitent jamais aux salariés, la flexibilité s'entendant de fait toujours comme une orientation à la baisse.

De même, « la crise de la dette » serait une construction artificielle, destinée à transférer le coût sur le peuple, notamment en justifiant la réduction des services sociaux, alors que le risque devrait peser sur les prêteurs, grandes institutions financières internationales.

Chomsky regrette l'âge d'or vertueux du capitalisme des années 1945-1970, période des accords de Bretton Woods, qui ont permis un enrichissement général dont le peuple a pu profité. En 1970, la libéralisation du système financier et monétaire international, une dérégulation en règle, permettant une explosion des inégalités de patrimoine et la création de bulles financières.

Le discours de Chomsky apparaît parfois un peu caricatural voire simpliste, pas nuancé, et on lui objectera évidemment que les régimes dits démocratiques, même très imparfaits, sont quand même plus acceptables que les dictatures, notamment communistes, pour lesquelles il n'a pas un mot, très bien, ce n'était pas son propos. En outre, il ne fait que s'auto-citer finalement, son argumentaire n'est pas étayé par des sources d'autres penseurs, en tout cas elles n'apparaissent pas dans l'édition en question.

Pour autant, la simplicité, sur un sujet potentiellement ardu, est aussi une qualité. Mais le plus gros point fort, c'est que ce discours, depuis l'an 2000, a été plus que jamais crédibilisé par l'histoire du monde, ce quart de siècle écoulé sous nos yeux : les gouvernements américains et ceux des pays riches sont allés plus que jamais dans le sens que Chomsky présente à nos yeux (interventionnisme militaire, crise financière avec renflouement d'établissements financiers aux frais du contribuable…).

Ce discours a me semble-t-il une résonance qui ne se dément pas aujourd'hui. Ce n'est qu'avis personnel, mais j'observe que la guerre en Ukraine bénéficie à l'économie américaine, qui en a profité pour renforcer sa position sur le plan énergétique et du même coup sa croissance. Quant aux gouvernements européens, ils ont décidé, sans que leurs peuples en soient informés, d'importer massivement, peut-être d'ailleurs bien au-delà de nos besoins réels, du blé ukrainien, cultivé avec la bonne chimie des bombardements, quand notre blé français est exporté. Heureusement que les agriculteurs nous ont alerté…On peut aussi se demander si notre gouvernement actuel (mais les précédents, de longue date, ont pu se livrer au même exercice) ne laisse pas survenir le désordre, en jouant du "en même temps" en tenant le jeu de balancier entre opposants qui s'auto-neutralisent (agriculteurs contre écologistes), ceci permettant au gouvernement, qui nous faire croire le contraire, de ne rien changer au système. Il n'a d'ailleurs pas les manettes puisque tout est décidé à Bruxelles aux mains d'une commission non élue démocratiquement soumise à de puissants lobbys économiques. Ceux-ci s'assurent de transférer le financement de leur risque d'entrepreneurs sur le contribuable en obtenant des compensations financières directes ou indirectes face à toute velléité régulatrice du marché. de même, les extrêmes politiques sont systématiquement entravés vers le pouvoir, alors qu'ils sont désormais supportés par une majorité au sein du peuple, par des manoeuvres permettant de préserver le pouvoir modéré en place, pro-européen et pro-business, ce qui assure au monde des affaires que rien ne changera. On pourrait très certainement trouver les mêmes dérives antidémocratiques au sein des grandes entreprises et même des administrations où l'on donne du grain à moudre sur des sujets de revendication secondaires pour mieux s'assurer que le management ne changera pas.

Ce petit livre est un discours intéressant, qui n'est pas d'une originalité débordante. Il comporte certaines vérités pas toujours bonnes à dire, mais largement répandues au sein des peuples et, de ce que je peux comprendre, probablement au moins en partie défendues par un Michel Onfray et un Emmanuel Todd. Il a valu à Chomsky la haine de l'Etat israélien (le traître !) et a fait de lui une figure tutélaire des mouvements contestataires, notamment des écologistes radicaux en France.
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