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Critique de Malaura


Le sujet est grave et pourtant quelle douceur dans le partage de ce voyage nocturne aux côtés de Gouri et de ses compagnons d'infortune, quel enchantement que cette errance nocturne dans les terres inhospitalières et empoisonnées d'Ukraine après la tragique catastrophe de Tchernobyl !

Deux ans après l'embrasement de la centrale, Gouri décide de revenir sur les lieux qu'il a été contraint d'évacuer, quand le bonheur familial simple et heureux qui constituait son existence a basculé dans l'horreur et l'incompréhension une nuit d'avril 1986 avec l'incendie du réacteur.
Si Gouri a été jusqu'alors épargné, il n'en a pas été de même pour sa fille Ksenia, gravement contaminée par les retombées radioactives comme beaucoup d'êtres peuplant ces terres devenues le théâtre de la ruine, de la décrépitude et de l'abandon. C'est pour elle, pour récupérer un objet de leur ancien appartement chargé de souvenirs, que Gouri a entrepris le voyage de retour à Pripiat, en « zone interdite ».

Parti de Kiev où il est écrivain public, une remorque attachée à sa moto, Gouri traverse un paysage de plus en plus dépeuplé, de plus en plus désertique et dévasté.
Pourtant, dans les vestiges des villes fantômes, dans les émanations inodores de la pollution nucléaire, la vie rayonne encore ça et là, malgré le sentiment d'abandon et la résignation, malgré l'irradiation et la confrontation à la maladie, malgré le milieu corrompu et infecté dans lequel les êtres tentent tant bien que mal de subsister, dans une sorte d'hébétude, comme rivés à l'attente d'un temps qui ne reviendra plus.

Cette petite vie persistante qui s'accroche comme une fleur d'espoir, passe par une soirée chaleureuse arrosée de vodka avec les amis d'antan dans un village à demi-déserté où Gouri a fait halte avant de reprendre la route.
En compagnie de camarades demeurés dans cette campagne parasitée par un mal invisible, l'on se souvient, l'on parle à mi-mots de la catastrophe, des jours qui ont suivis, des villes évacuées et enterrées par les bulldozers, des liquidateurs, ces héros malgré eux qui ont tenté de stopper l'incendie sans aucune protection, de ce mélange de stupeur, d'angoisse, de fascination trouble et de beauté délétère qu'offrait alors la vision foudroyante de cette petite apocalypse.

Iakov que la radioactivité ronge chaque jour davantage, Vera, Kouzma, quelques autres encore, jalonnent la route de Gouri jusqu'à Pripiat. Un voyage qui sous le ciel pigmenté d'étoiles, éveille un sentiment de vide écrasant comme un tableau de fin du monde mais offre aussi la perspective d'une humanité conviviale et chaleureuse désireuse de faire renaître la vie dans cette partie du monde que l'homme a profanée.

26 ans après la tragédie, Antoine Choplin nous fait le don d'un texte scintillant d'humanisme, d'empathie, de sensibilité, si bien qu'à la tristesse ressentie, viennent se greffer des touches d'espoir rendant lumineux ces lieux redevenus sauvages, où la nature a repris ses droits comme si rien ne s'était passé. Et pourtant…s'il faut, pour se convaincre encore des nécessités de l'exil, « flairer la réalité de ces puissances cruelles, imperceptibles et assassines, préservant si étrangement l'apparence du monde », l'état de Iakov dont la chair en lambeaux se détache du corps, la maladie de Ksenia, les maisons englouties sous les mâchoires des bulldozers, les villes si effroyablement vide de présence humaine, ne peuvent démentir l'ampleur du drame qui s'est joué là et dont on a trop longtemps occulté les terribles répercutions.
Mais Antoine Choplin, par la simplicité d'un ton modéré et bienveillant, tout en retenu et mesure, réussit admirablement à irradier les coeurs et les esprits de chaleur humaine, à éclairer le texte de miséricorde et d'humanité, à apposer sur les brûlures radioactives le baume bienfaisant de la solidarité et d'un devoir de mémoire qui s'illustre sans rancoeur ni aigreur.
Après le gros succès public du Héron de Guernica, La nuit tombée fait palpiter notre dosimètre cardiaque dans les irisations d'une grâce pleine de naturel, de modestie et de lumière.
Simple et beau.
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