AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,05

sur 374 notes
Le sujet est grave et pourtant quelle douceur dans le partage de ce voyage nocturne aux côtés de Gouri et de ses compagnons d'infortune, quel enchantement que cette errance nocturne dans les terres inhospitalières et empoisonnées d'Ukraine après la tragique catastrophe de Tchernobyl !

Deux ans après l'embrasement de la centrale, Gouri décide de revenir sur les lieux qu'il a été contraint d'évacuer, quand le bonheur familial simple et heureux qui constituait son existence a basculé dans l'horreur et l'incompréhension une nuit d'avril 1986 avec l'incendie du réacteur.
Si Gouri a été jusqu'alors épargné, il n'en a pas été de même pour sa fille Ksenia, gravement contaminée par les retombées radioactives comme beaucoup d'êtres peuplant ces terres devenues le théâtre de la ruine, de la décrépitude et de l'abandon. C'est pour elle, pour récupérer un objet de leur ancien appartement chargé de souvenirs, que Gouri a entrepris le voyage de retour à Pripiat, en « zone interdite ».

Parti de Kiev où il est écrivain public, une remorque attachée à sa moto, Gouri traverse un paysage de plus en plus dépeuplé, de plus en plus désertique et dévasté.
Pourtant, dans les vestiges des villes fantômes, dans les émanations inodores de la pollution nucléaire, la vie rayonne encore ça et là, malgré le sentiment d'abandon et la résignation, malgré l'irradiation et la confrontation à la maladie, malgré le milieu corrompu et infecté dans lequel les êtres tentent tant bien que mal de subsister, dans une sorte d'hébétude, comme rivés à l'attente d'un temps qui ne reviendra plus.

Cette petite vie persistante qui s'accroche comme une fleur d'espoir, passe par une soirée chaleureuse arrosée de vodka avec les amis d'antan dans un village à demi-déserté où Gouri a fait halte avant de reprendre la route.
En compagnie de camarades demeurés dans cette campagne parasitée par un mal invisible, l'on se souvient, l'on parle à mi-mots de la catastrophe, des jours qui ont suivis, des villes évacuées et enterrées par les bulldozers, des liquidateurs, ces héros malgré eux qui ont tenté de stopper l'incendie sans aucune protection, de ce mélange de stupeur, d'angoisse, de fascination trouble et de beauté délétère qu'offrait alors la vision foudroyante de cette petite apocalypse.

Iakov que la radioactivité ronge chaque jour davantage, Vera, Kouzma, quelques autres encore, jalonnent la route de Gouri jusqu'à Pripiat. Un voyage qui sous le ciel pigmenté d'étoiles, éveille un sentiment de vide écrasant comme un tableau de fin du monde mais offre aussi la perspective d'une humanité conviviale et chaleureuse désireuse de faire renaître la vie dans cette partie du monde que l'homme a profanée.

26 ans après la tragédie, Antoine Choplin nous fait le don d'un texte scintillant d'humanisme, d'empathie, de sensibilité, si bien qu'à la tristesse ressentie, viennent se greffer des touches d'espoir rendant lumineux ces lieux redevenus sauvages, où la nature a repris ses droits comme si rien ne s'était passé. Et pourtant…s'il faut, pour se convaincre encore des nécessités de l'exil, « flairer la réalité de ces puissances cruelles, imperceptibles et assassines, préservant si étrangement l'apparence du monde », l'état de Iakov dont la chair en lambeaux se détache du corps, la maladie de Ksenia, les maisons englouties sous les mâchoires des bulldozers, les villes si effroyablement vide de présence humaine, ne peuvent démentir l'ampleur du drame qui s'est joué là et dont on a trop longtemps occulté les terribles répercutions.
Mais Antoine Choplin, par la simplicité d'un ton modéré et bienveillant, tout en retenu et mesure, réussit admirablement à irradier les coeurs et les esprits de chaleur humaine, à éclairer le texte de miséricorde et d'humanité, à apposer sur les brûlures radioactives le baume bienfaisant de la solidarité et d'un devoir de mémoire qui s'illustre sans rancoeur ni aigreur.
Après le gros succès public du Héron de Guernica, La nuit tombée fait palpiter notre dosimètre cardiaque dans les irisations d'une grâce pleine de naturel, de modestie et de lumière.
Simple et beau.
Commenter  J’apprécie          870
Un tout petit roman d'une incroyable douceur pour une virée à la nuit tombée dans la ville fantôme qu'est Tchernobyl.

Les souvenirs sont encore bien vivants pour Gouri. Il les partage avec ses amis victimes de la catastrophe nucléaire de 1986. Il décide de rejoindre la ville fantôme sur sa moto, accompagné de son ami. La nuit tombée, comme deux fantômes ayant peur du jour et de ce qu'ils pourraient découvrir.
Si tout est silence et vide dans la ville, Gouri tient à retrouver un semblant de vie et d'humanité. Peu de choses suffisent pour réanimer une ville échouée, le vol d'un oiseau, le vole d'un piano, le démontage d'une porte marquée de la taille de sa fille au fil des années.
Les descriptions sont belles, justes, comme un dernier hommage à Tchernobyl, comme une dernière virée de deux hommes vivants là où la vie a déserté faute au nucléaire, faute à un accident tournant à la catastrophe et dépleupant les rues.

Intime, essentiel, c'est à la tombée de la nuit que la lune projette toute son immensité.
Commenter  J’apprécie          755
J'ai longtemps hésité à lire ce roman pour diverses raisons. La nuit tombée est un court roman d'Antoine Choplin qui m'a entraîné dans le voyage de Gouri sur sa moto qui tire une remorque brinquebalante. Nous sommes en Ukraine. C'est un voyage entre Kiev et Pripyat, deux ans après le drame de Tchernobyl, rappelez-vous c'était un certain 26 avril 1986. Gouri, sa femme et sa fille, comme des milliers de personnes ont dû fuir rapidement la zone contaminée dans les jours qui suivirent l'événement.
Il revient là-bas deux ans après, il revient sur ses pas. Pourquoi revient-il ? Il revient avec une idée dans la tête. Retourner à l'appartement de Pripyat qu'ils habitaient, la grande ville aux abords de la centrale nucléaire, la grande ville effervescente qui étaient grouillantes de vies il y a encore deux ans, où les habitants vivaient de cette proximité.
Sur cette route il fait halte dans un petit village chez Vera et Iakov, un couple d'amis et c'est brusquement une longue rencontre faite de retrouvailles et d'émotions. Il y a de la joie à se retrouver. Les gestes se retiennent, s'effleurent un peu. La vodka coule dans les verres, les langues se délient, les souvenirs aussi s'invitent, les larmes se retiennent cependant encore derrière des digues que l'on sent aussi fragiles que le sarcophage qui recouvre désormais le réacteur de la centrale de Tchernobyl.
Avec l'évocation des souvenirs récents et tenaces, des scènes sidérantes se reconstituent sous nos yeux pour dire ce qui fut l'innommable. Comme cette vieille femme qui ne voulait pas fuir sa maison et que deux hommes sortent de chez elle de force à bouts de bras comme si elle était un cadavre... Comme cette maison qu'on décide de démolir et d'engloutir dans une fosse creusée à cette effet par des pelleteuses.
Le père et le fils contemplent ce désastre, ils pensaient avoir vidé la maison et brusquement surgit parmi les décombres une petite Tour Eiffel dans sa bulle de verre où coulait la neige, souvenir désuet de Paris... Comme cet homme, un de ces volontaires chargés d'accompagner l'évacuation des lieux et qui, une nuit, courut tel un illuminé vers cette forêt dont les arbres s'étaient mis soudainement à rougeoyer. C'était comme le chant des sirènes...
Tchernobyl est une de ses catastrophes violentes et insidieuses dont on ne sent pas le mal immédiatement.
Le paysage au début semble comme n'avoir jamais changé. Les gens aussi. Rien ne se voit dans l'air ni dans le vol des oiseaux. C'est après...
Il paraît que, lorsque l'endroit fut vidé de sa population ou presque, les animaux se réapproprièrent ce territoire y compris dans les rues désertes de Pripyat. Des oiseaux entraient dans les maisons et les fenêtres lorsque les fenêtres étaient restées ouvertes. Et puis vinrent aussi des pillards, par centaines, bien que l'accès fût surveillé et protégé sans cesse par les forces de l'ordre...
Gouri, en revenant sur les lieux du drame, sur ce lieu qui restera contaminé durant des centaines d'années encore et sans doute bien plus encore, risque sa vie pour pas grand-chose... On saura plus tard pourquoi il va là-bas, et pourquoi son voyage ultime doit s'effectuer à la nuit tombée...
Mais peut-être l'instant le plus émouvant dans ma lecture fut lorsque Iakov, qui sait qu'il n'en a plus pour très longtemps à vivre, demande à Gouri de l'aider à écrire une lettre pour Vera, parce qu'il ne sait pas bien poser les mots sur une feuille de papier... C'est peut-être là que les digues que j'évoquais plus haut commencèrent à se fissurer, pas celles qui retenaient ce maudit atome en fission, mais celui d'un coeur en sanglot.
Voilà ! Tout ce texte est ainsi tissé par l'écriture empathique d'Antoine Choplin, pudique, tout en retenue. L'horreur de cet événement est dit par ellipse, le sujet n'était pas facile à aborder, il y a une poésie à la fois lumineuse et saisissante qui ne fuit pas cette horreur, qui ne se complet pas dedans, qui dit simplement avec des mots touchants le drame humain qui s'en est suivi pour des milliers de familles...
La trajectoire de Gouri sur sa petite moto fragile ressemble à un chant crépusculaire. Sa quête est comme un geste aussi dérisoire qu'éprise de sens. Elle est belle.
J'ai été ému jusqu'aux bords des larmes par ce magnifique récit porté par beaucoup d'humanité. En refermant ce livre, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au père d'une amie de mon épouse, elle s'appelle Svetlana, habite aujourd'hui dans le Finistère à quelques kilomètres de chez nous, son père était pompier là-bas au moment de « l'accident », dont la cause, il faut le rappeler, n'était rien d'autre qu'un essai technique de sécurité qui fut mal maîtrisé dans l'enchaînement de très mauvaises décisions. Il fut avec une quinzaine de ses collègues les premiers à intervenir auprès du réacteur en fusion. Ils furent aussi les premiers à décéder... Certains dès le lendemain...
Commenter  J’apprécie          7144
« Ce n'était pas la guerre, ni un tremblement de terre. Nul effondrement, nul cratère d'obus. N'empêche, il fallait partir. »


En seulement 123 pages, Antoine CHOPLIN nous fait toucher du doigt les émotions et sentiments des rescapés de la catastrophe de Tchernobyl en 1986. Rescapés, mais pour combien de temps ? Car même si la population a été rapidement, et de force, évacuée dans les larmes mais en relative sécurité, des symptômes se déclarent chez certains à retardement. Alors la nuit, qui est déjà tombée sur leur monde le 26 avril 1986, retombe sur leur âme et celle de leurs proches. Et que faire dans ces cas-là sinon se raccrocher aux souvenirs ? Enfin, ceux qui n'ont pas été ensevelis par les autorités, pour éviter toute contamination, ni volés par les brigands opportunistes lorsque la zone, désormais interdite, a été obligatoirement désertée…


« Ce dont je me souviens le mieux, c'est des choses qu'on voyait parfois tomber dans le trou au milieu d'une pelleté de gravats. Des choses qu'on n'avait pas eu le temps ou même l'idée d'emporter et qui nous passaient sous le nez. Sauf qu'à chacune d'elles s'accrochaient des petits morceaux de vie et que c'était ça qui défilait devant nous. »


Pour apaiser les âmes, c'est autour de tournées de vodka entre initiés que les souvenirs reviennent. Mais pour Gouri, cette fois, ça ne suffit pas. Il doit retourner clandestinement en zone contaminée et interdite pour récupérer quelque chose de vraiment important, que les pilleurs n'ont pas dû prendre. Lui qui a été chargé dans le passé, avec ses amis, de détruire certaines espèces animales pouvant être vecteur de contamination, espère désormais que sa maison et ses affaires n'ont pas, à leur tour, été démolis et enterrés. Au péril de sa vie, avec le soutien de quelques amis pas tous indemnes, il doit en avoir le coeur net. Il accroche une remorque à sa moto et, après un émouvant tour de table nous offrant les contours du contexte et un panel de conséquences de la catastrophe, c'est à la tombée de la nuit que nous suivons Gouri jusqu'à ce lieu interdit : Pripiat.


« Ils n'auraient jamais dû le faire, Gouri l'avait compris peu après. Ils l'avaient fait pourtant, avec enthousiasme et même, une joie vague. Ils étaient venus ensemble, c'était tout près d'ici, Ksenia et lui, au matin du 26 avril. Voir un peu. le bleu étrange de l'incendie. Les irritations. Cette féérie. »


Un livre extrêmement court mais lourd de sens, jusque dans les pauses et les silences. Surtout dans le contexte actuel.


« Ca colle le vertige, ça, quand on y pense. Un monde qui continuerait sans nous. Hein. »
Commenter  J’apprécie          6746
Une véritable merveille bien que les sujets abordés dans cet ouvrage ne soient guère réjouissants, bien au contraire !

Gouri, le personnage principal, revient, après deux ans d'absence, dans sa région natale de l'Ukraine, non seulement pour revoir ses amis, Iakov et Svetlana mais surtout parce qu'il a une mission à accomplir : celle de retourner dans Sa ville, celle où il a vécu heureux avec sa femme et sa fille, et qui est désormais en ruines afin de récupérer une porte. Vous allez croire que je raconte n'importe quoi mais lisez la suite et tout prendra peut-être sens pour vous ! Gouri s'est exilé à Kiev suite au 26 mai 1986. Cette date ne vous évoque-t-elle rien ? L'accident nucléaire de Tchernobyl bien évidemment ! Même si ce dernier n'est pas clairement mentionné par l'auteur, le lecteur, lui, lit entre les lignes puisqu'il parle de "zone", d'évacuation à grande échelle de villages entiers et, bien évidemment de plutonium. le rapprochement ne fait donc plus aucun doute. Et su Gouri tient tant à retourner dans cet endroit pillé, dévasté et surtout interdit, c'est pour se rendre à Pripiat, la ville dans laquelle où il habitait et de se rendre, illégalement bien entendu, dans son ancienne demeure pour récupérer la porte de la chambre de sa fille.
Pourquoi celle-ci et pas une autre ? Et dans quel but ? Je ne vais quand même pas vous dévoiler toute l'intrigue donc je m'arrête là, ne serait-ce que pour vous tenir sur votre faim...

En tout cas, je vous recommande vivement la lecture de cet ouvrage qui se lit très vite, qui est extrêmement bien écrit et très touchant. Il a d'ailleurs obtenu le Prix France Télévisions 2012, dans la catégorie "Romans". A découvrir absolument !
Commenter  J’apprécie          620
Deux ans après la catastrophe de Tchernobyl, Gouri, qui vit désormais à Kiev avec sa femme et sa fille Ksenia, entreprend de retourner à Prypiat, dans l'appartement que la petite famille occupait jusqu'au 26 avril 1986, pour récupérer ce qu'il pourra y trouver, notamment la porte de la chambre de sa fille.
.
La désormais ville fantôme après avoir compté un peu moins de 50 000 habitants, est située à 2,6 km de la centrale et ses abords sont strictement interdits et gardés par l'armée, Prypiat étant devenue hautement radioactive.
.
C'est donc sur une moto à laquelle est attelée une remorque que Gouri va faire le voyage d'un peu plus de 150 kilomètres.
.
Une seule halte, à Chevtchenko, où résident ses amis Vera et Iakov. Ayant été exposé aux radiations, ce dernier est en fin de vie quand il atteint la maison.
Piotr, surnommé le gamin aux chats parce qu'il en avait un certain nombre avant qu'il soit ordonné de les massacrer sous ses yeux, est là également, ainsi qu'une poignée d'autres personnes venues dîner ce soir-là.
.
*******
.
J'aurais dû éviter de lire ce livre juste après La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse de Svetlana Alexievitch, parce que bien que poignant, il résiste mal à la comparaison.
.
La narration est plus distante, moins élaborée, encore que l'autrice de ce dernier étant restée très simple, on n'a pas non plus de grandes envolées, mais les témoignages m'ont beaucoup plus touchée.
.
Bien entendu, le récit ne laisse pas indifférent, mais pour ce qui me concerne, l'émotion venait davantage de ma projection personnelle à la lecture des mots que des phrases de l'auteur proprement dites.
.
Je remercie néanmoins mes amis Magali (Ladybirdy), Berni-chou (Berni_29), Sandrinette (HundredDreams), Cicou, Spleen et Wyoming, qui m'ont incitée à lire La nuit tombée, ce que je ne regrette nullement.
Commenter  J’apprécie          5753
Magnifique roman d'Antoine Choplin. J'avais déjà lu un roman de cet auteur "Partiellement nuageux" que j'avais beaucoup aimé. C'est un peu par hasard que j'ai vu ce livre "La nuit tombée". Je ne savais pas trop quelle histoire j'allais découvrir mais le fait de voir l'auteur qui l'avait écrit, a suffi pour que je le commence. le sujet n'est pas bien gai. Cela se passe en Ukraine, deux ans après la catastrophe de Tchernobyl. Gouri, un écrivain public de Kiev se rend avec sa moto et une remorque à l'arrière dans la campagne ukrainienne. Il veut retourner dans son village qui est devenu une zone interdite à cause de la grande contamination autour de Tchernobyl. En route, il passe chez ses amis, Véra et Liakov. Il y trouve de la chaleur humaine, le partage du repas, les échanges joyeux et tristes et la vodka qui coule à flot autour des convives. Gouri attend la nuit pour pouvoir aller à Pripiat, son village natal. Il veut récupérer quelque chose qui lui est cher.
C'est un roman humaniste et chaleureux où la solidarité n'est pas un vain mot. Un sujet rude traité avec poésie, un vrai bonheur malgré le sujet.
Je ne peux que vous le conseiller.
Commenter  J’apprécie          554
Le temps d'un court récit, l'auteur nous remémore le drame de Tchernobyl.
La couverture dégage une force incroyable. On y voit une maison inhabitée au-dessus d'un immense trou noir. Elle semble y tomber, sans aucune chance de pouvoir s'en échapper.
Ce gouffre noir, sans fond, c'est la zone interdite.

*
Ce court roman s'ouvre sur une scène absolument saisissante.
Un homme, Gouri, revient seul, dans la région de Pripyat, deux ans après la catastrophe nucléaire.
Voyageant sur une vieille moto à laquelle est accrochée une remorque brimbalante, il traverse la campagne ukrainienne, les villages abandonnés pour se rendre dans la zone interdite.

"Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter à ceux qui reviendront
Les enfants enlaçaient les arbres »

Gouri est prêt à braver tous les dangers pour revenir dans son ancien appartement et récupérer quelque chose qu'il n'a pu emporter le jour de l'évacuation de la ville de Pripyat.
Qu'est-ce qui motive cette prise de risques insensée ?

Nous découvrons cette raison progressivement, mêlée aux pensées de Gouri qui nous ramènent sans cesse au drame du 26 avril 1986 et aux jours qui ont suivi le drame.

« La bête n'a pas d'odeur
Et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres
D'entre ses mâchoires de guivre
Jaillissent des hurlements
Des venins de silence
Qui s'élancent vers les étoiles
Et ouvrent des plaies dans le noir des nuits
Nous voilà pareils à la ramure des arbres
Dignes et ne bruissant qu'à peine
Transpercés pourtant de mille épées
A la secrète incandescence »

Ce voyage à la nuit tombée est l'occasion d'évoquer ce monde qui n'existe plus, cette vie qui n'existe plus, ce bonheur simple qui n'existe plus. Dès les premières lignes, j'ai ressenti de plein fouet, à travers les souvenirs de cet homme, sa solitude, sa peur, sa peine, son angoisse de découvrir les restes de sa vie d'avant, de ne pas retrouver ce qu'il est venu chercher.

« Ce n'était pas la guerre, ni un tremblement de terre. Nul effondrement, nul cratère d'obus. N'empêche, il fallait partir. »

Deux ans après la catastrophe nucléaire, Gouri retrouve ceux qui, bravant les interdits, ont décidé de rester malgré tout, préférant ne pas quitter leur maison, leur village et leur cadre de vie auxquels ils étaient attachés.

Gouri découvre ces lieux figés dans le temps, ces terres massivement contaminées, les arbres encrassés d'une suie noire et collante, Pripyat devenue ville fantôme avec sa grande roue et ses nacelles vides, ses immeubles abandonnés et pillés malgré la radioactivité environnante.

« Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt cette sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c'est ça qui te colle la trouille. »

*
Ce que je retiens principalement, ce sont les personnages de ce roman, attachants, esquissés avec beaucoup de finesse et d'attention. Antoine Choplin reconstitue avec une belle aisance ses vies brisées. On ressent les douleurs étouffées, les vies chamboulées, le traumatisme de ce déracinement forcé.

Iakov et Vera sont un parfait exemple de cette capacité de résilience. Leur vie à deux qui s'achève est bouleversante.
Mais il y a aussi la Ksenia, petite victime contaminée par la radioactivité.
Ou bien le jeune Piotr, traumatisé par la disparition de ses parents.

Les silences ont souvent plus de poids que les mots pour décrire l'horreur et l'incompréhension, et Antoine Choplin s'en sert avec raison. L'auteur ne rentre pas dans les détails des souvenirs douloureux, mais j'ai été particulièrement sensible à l'aspect psychologique des personnages, leur compassion, leur pudeur, tant dans la douleur physique que psychologique, mais surtout leur courage face aux épreuves de la vie.

*
Une nouvelle fois, je suis charmée par l'écriture d'Antoine Choplin qui entremêle habilement la fiction et la réalité.
J'y ai retrouvé le style qui m'avait tant plu dans « le héron de Guernica », cette écriture épurée, simple, profonde et vibrante d'émotions, qui s'affranchit de ponctuation dans les dialogues pour mieux se fondre dans le récit.
Ce choix d'une écriture sobre crée un fort contraste avec les événements dramatiques, rendant le récit d'autant plus émouvant et poignant.

*
Pour conclure, je referme ce roman très touchée par sa poésie, son humanisme. Les personnages m'ont impressionnée par leur courage et leur force morale.
« La nuit tombée » est un beau roman que je vous conseille.
Commenter  J’apprécie          5224
Gouri part pour un voyage dans La nuit tombée, là où le temps est suspendu, figé dans la douleur, à Tchernobyl. La poésie des décors vides dans la nuit se mêle à la souffrance des survivants de l'effroyable catastrophe nucléaire.
Il vient de Kiev sur sa moto, pour récupérer un objet inattendu qui cristallise ses souvenirs familiaux dans l'appartement qu'il occupait autrefois. Mais la zone est désormais interdite. La quête de Gouri dans ce no man's land est bouleversante. En chemin, il s'arrête chez chez Eva et Iakov à Chevtchenko, dans un village contaminé. Ceux qui habitent encore là, ont perdu leurs illusions. Mais le temps d'un repas, on partagera une bouteille de vodka.
Son ami Kouzma le prévient : « Faut faire attention au plutonium, par ici. Un millième de gramme dans le ventre et t'es retourné en six mois. »
Un mot, un geste, un frisson dans la ville désertée, un oiseau qui vient se poser dans le silence assourdissant de la nuit, Antoine Choplin décrit subtilement les émotions de Gouri, comme de petites lucioles qui brillent dans la nuit, avec délicatesse et beaucoup d'humanité.
Des phrases courtes qui vont droit au coeur, une belle découverte.
Commenter  J’apprécie          522
Antoine Choplin nous donne à vivre une journée et une nuit avec Gouri qui decide deux ans après la catastophe de Tchernobyl de retourner à Pripiat, Zone dorénavant interdite et surveillée. Il fait une escale avant chez des amis survivants puis part avec sa moto , sa remorque et Kouzma pour Pripiat, là où il a vécu. Il veut récupérer la porte de la chambre de sa fille sur laquelle, il avait noté les signes du temps qui passe, les mesures de sa fille qui grandissait au cours du temps. Cette porte , objet symbolique à plusieurs titres est celui qu'il a besoin pour avancer et peut- être aussi fermer une page de son existence.
Ce petit roman sombre nous donne à vivre quelques heures heures dans ce no man's land rafioactif, quelques heures qui suffisent à nous faire comprendre l'ampleur de la catastrophe .
L'écriture est sobre et pourtant sensible, parsemée de petits poèmes, le style EST celui qu'il fallait pour cette histoire. Pas de fioritures, les mots choisis sont emplis de pudeur.
Commenter  J’apprécie          484




Lecteurs (642) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3661 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *}