Des larmes et des saints

Cioran est un penseur des plus singuliers pour son style. Lecteur du livre de Job, il écrit lui-même comme ce malheureux, éructant sur son tas de fumier, jetant des aphorismes sur le papier comme des cris dans le ciel.
Il entrevoyait ce qu'il appelait « une herméneutique des larmes qui tenterait de découvrir leurs sources et toutes leur interprétations possibles ». Les larmes et les pleurs ont une place de choix dans son oeuvre. Si elles étaient emprunt de lyrisme dans ces premières oeuvres, elles coulent dans Des larmes et des saint au plus proche des saintes et des mystiques : « la mystique, cette sensualité transcendante ». Mais paradoxalement, il prévoit le jour où il regrettera d'avoir trop aimé la mystique. Les larmes resteront dépouillées de leur origine transcendante et s'incarneront dans le réel d'une vie et dans la musique : « On vous demande des actes, des preuves, des oeuvres et tout ce que vous pouvez produire ce sont des pleurs transformés. » (Le mauvais démiurge). « La musique, système d'adieux, évoque une physique dont le point de départ ne serait pas les atomes mais les larmes. » (Syllogismes de l'amertume).