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Citations sur Terre natale (62)

I L'INTRUS


Extrait 12

J’ai peur. Rien à dire. Un espace s’est creusé entre ce
que je continue à nommer « moi » et le monde, si près,
si familier. L’air comble le vide d’un seul coup, et l’absence
m’a rempli. Ou plutôt, car je ne doute pas d’être,
puisque je pense, éprouve, et ressens et m’interroge :
« Ou suis-je ? » Pas même : « Qui suis-je ? » mais simplement
: « Suis-je ? ». Est-il si dur de se quitter ?
« Être soi » ne serait qu’une obstination à croire en ce
qui n’est qu’une suite de sensations disparates, une habitude,
une distraction.
On porte le deuil de sa vie bien avant d’être mort.

p.20
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I L'INTRUS


Extrait 11

   Ravisé… Aujourd’hui encore, et plus que jamais, trois
quarts de siècle plus tard, aurais-je été rassuré d’avoir
trouvé mon visage ?
   Sans doute, c'est en se dérobant aux autres qu'on se
dérobe à soi. Je me suis si peu livré qu’aujourd’hui c’est
a moi que j’échappe.
   La mort est une réalité pénible à envisager. Mais la
naissance est une énigme bien plus troublante encore. Je
disparaîtrai comme tout ce qui vit disparaît, les plantes,
les animaux, les humains, après avoir vécu. Mais autrement
angoissant est le fait qu’autrefois je n’étais pas là,
et qu’aujourd’hui j’existe.

p.19-20
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I L'INTRUS


Extrait 10

   Il faut me raviser, reconsidérer mon visage, oser le de
visu. À quoi, à qui, peut-on ressembler ? Dans l’Ouest,
on appelle « ravisé » l’enfant né dix ans après l’aîné et
qu’on n’attendait plus. Répondre à l’inattendu ? Serais-je
jamais aussi unique que d’être celui que l’on n’attendait
plus ? Ravisé, quand j’ai vu le jour, dix ans après ma
sœur, pour occuper la place de l’enfant unique. J’avais
du y regarder à deux fois avant d’oser sortir. Comme ma
mère, qui y regardait toujours à deux fois avant de se
décider. Né en octobre 1940, trois semaines exactement
avant la loi « portant statut des Juifs » et deux jours après
l’entretien de Montoire, dans un pays ou tout le monde
fuyait et continuait de se précipiter dans les fossés au
bruit d’un Stuka, pour, rentré chez soi, affronter la faim
et le froid, il y avait de quoi n’être pas sur ni de soi, ni
de sa race et de son pays.


p.19
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I L'INTRUS


Extrait 9

   « À quoi ressemblez-vous ? » J’ai eu envie de poser la
question à ce correspondant dont je n’ai jamais vu le
visage et dont je ne sais rien, ni l’âge ni les occupations,
et dont je n’ai que les longues lettres qu’il m’envoie
chaque jour depuis des mois. Mais ma question le mettrait
en embarras : « ressembler à » suppose un modèle.
« Cela ne te ressemble pas » m’avait lancé un proche, à
propos d’un mot qu’il jugeait déplacé. Comment juger
du visage de mon correspondant inconnu ?
   Qu’est-ce qui vous ressemble ? Sur quel modèle juger ?


p.19
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I L'INTRUS


Extrait 8

Il faudrait dire : « je suis », plutôt que : « je pense, je
suis », si penser est la condition pour être.
La connaissance est une servitude, plus souvent un
malheur. Ce n’est pas la dualité, le corps, l’esprit, le
bien, le mal. C’est une disparition. Je me défais.
Quand on rencontrait ces désordres autrefois, on les
attribuait au Diable, un mot pour dire le Grand Diviseur.
Peut-on se présenter devant Dieu en loques ? Et le
reste serait Amour, reconnaître l’autre, et jusqu’a reconnaître
l’autre en soi.

p.18
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I L'INTRUS


Extrait 7

  Quel étranger pense à ma place ? S’il est vrai que je
suis la plupart du temps absent a moi-même, au moins
ai-je toujours pu, jusque-là, rentrer à la maison, et même
rester au pays, comme dit Hoffmann : « à la maison ».
   « Fort-da » pour reprendre l’analyse du Viennois, qui
ne faisait que répéter Kafka, être absent, être parti, sans
arrêt, pour s’échapper, toujours plus avant, comme l’en-
fant qui refuse d’être a demeure, trépigne et ponctue de
sa rengaine un mouvement contrarié.

p.18
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I L'INTRUS


Extrait 6

  Plus mystérieux, le petit bureau qu’évoque Hoffmann
dans ses Élixirs du diable : « Eh ! mon révérend, reprit
Schönfeld, a quoi cela vous avance-t‑il ! Je veux dire,
à quoi vous sert cette fonction particulière de l’esprit
que l’on appelle conscience et qui n’est autre chose que
l’activité maudite de ce damné receveur des douanes, ou
employé d’octroi, ou sous-contrôleur en chef, qui a ins-
tallé son fatal bureau dans la petite chambre du haut et
s’écrie, chaque fois que quelque marchandise veut sortir :
“Hé ! hé !…. exportation interdite… Au pays ! Qu’elle
reste au pays !”… »
   « La petite chambre du haut », celle que Schelling
s’était fait construire a Iéna, a laquelle on accédait par
une échelle, pour ne pas effrayer les oiseaux, qui sont le
vol des pensées peureuses.
...

p.17-18
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I L'INTRUS


Extrait 5

  Penser est une continuité que je n’ai plus, une fidé-
lité que je ne respecte pas. Ou suis-je quand je ne pense
pas ? Quelqu’un pense, si proche, mais pense ailleurs,
dans mes environs.
  Je m’efforce de toucher la limite qui se dérobe, là où
s’ouvre un fossé qui me fait reculer, et dans ma réflexion
tomber, si j’avais le cœur a sourire, jusqu’au divan de
Freud, disposé là pour amortir la chute.
  Diwan, en turc, « la douane » : le divan oriental de
Goethe sur lequel on peut étendu a loisir converser,
comme le divan de Freud permet d’écouter. Tous deux
recouverts de la même ottomane.


p.17
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I L'INTRUS


Extrait 4

  Je pense, et je découvre que je n’y suis pas. En ce lieu
présent, je ne me trouve pas en ce lieu, en ce moment.
Das da  :  maintenant, un ici-bas d’ou l’on ne peut se
défaire, qu’on ne peut oser quitter, sous peine de se
réveiller sous l’apparence d’un monstre.
  Je me découvre moi-même, et puisque ce moi n’a pas
d’existence, ici et maintenant, il est,  puisqu’il est mon
double, la preuve que je ne suis rien moi-même, et sans
doute que je n’ai jamais été que ce rien vers lequel j’ai
été projeté.


p.17
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I L'INTRUS


Extrait 3

   « La conscience, c’est l’ego qui se saisit dans son
ipséité… » nous répétait le professeur au lycée Henri-IV.
On ricanait. Cet husserlien cultivé ne connaissait donc
pas Valéry, distinguant « dans ton Même, dans cette
ipséité, des parties et des éléments aussi étrangers a toi
que s’ils étaient d’autres que toi […]. Pourquoi dire : J’ai
revé – quand il faudrait dire : Il a été rêvé ? ».
   Nous étions la génération qui ne pourrait plus avan-
cer un mot sans le faire précéder du sempiternel « Moi,
je… ».

p.16-17
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