Citations sur Plein soleil (7)
C'est l'existence de la mort que j'apprends quasiment en naissant, pas le temps de rêver, ni d'être insouciante. Il me faut aller chercher loin la force de faire des enfants, de calmer l'inquiétude, de parier sur la vie pour oser la transmettre. Mes filles ne se doutent pas que je suis revenue des enfers pour leur donner la vie, un pari fou car c'est chaque jour que je tremble de voir ce que j'ai construit, anéanti.
Pendant longtemps, mon père a été une tombe laquée noire qu'on m'emmenait de temps en temps visiter. Je n'ai de souvenirs de mon père que de sa tombe, des pleurs de mes grands-parents qui coulaient dessus et de mon absence de sentiment. On me disait, c'est ton père, va embrasser sa photo...Voilà, j'étais la fille d'un mort. Ma mère avait embrassé un mort et m'avait conçue avec. Quand je pensais à mon père, je voyais cette tombe perdue au milieu de centaines d'autres, immobile, glacée, fidèle à elle-même en toutes circonstances, dans la nuit, en plein soleil, ou recouverte de neige. Toujours le même calme, toujours la même inertie pendant que moi, je me débattais au milieu des vivants.
En astrologie, on dit que la lune représente la mère et le soleil, le père. Alors, si je regarde la carte de mon ciel, je vois une lune pleine et énorme qui prend toute la place et fait de l'ombre à ce soleil sombre qui n'a pas eu le temps de diffuser sa lumière. Mon soleil, à moi, est en rupture. C'est un soleil frustré, bourré de chagrin, plein à craquer de larmes. Mon soleil est enfermé dans une tombe laquée noire, il y dispense à perte sa lumière, il nourrit la terre. Il tourne à vide. Sa chaleur me manque, j'ai si souvent froid.
Voilà, j'étais la fille d'un mort. Ma mère avait embrassé un mort et m'avait conçue avec. Quand je pensais à mon père, je voyais cette tombe perdue au milieu de centaines d'autres, immobile, glacée, fidèle à elle-même en toutes circonstances, dans la nuit, en plein soleil, ou recouverte de neige. Toujours le même calme, toujours la même inertie pendant que moi, je me débattais au milieu des vivants.
Comment aimer ce père dont je ne me souviens pas ? Comment trouver le chemin qui me conduise à cet amour-là ? Il doit bien exister quelque part en moi mais je n'y ai plus accès. J'ai tout oublié. J'éprouve de la culpabilité devant ce manque d'amour, cette absence de sentiment. je fais des efforts. j'essaie. Mais rien. Je ne ressens que du froid. Obligée d'emprunter un autre chemin, un chemin de traverse. (...) C'est un amour dévié de sa trajectoire, qui fait des détours pour atteindre sa cible, un amour par procuration. (p.22)
Il paraît que ce qui ne tue pas rend plus fort. Moi, j'ai le sentiment du contraire, que les événements difficilent fragilisent. Ils ouvrent des brèches qui entament à jamais la confiance, rendent vulnérable.
La colère me tord le ventre. Mon père nous a abandonnées. Il a déserté mon enfance. Il s'est fait la malle. Pourquoi ? Je tremble en pensant que la bombe est tombée pile sur notre foyer, qu'elle a atteint sa cible avec une parfaite précision. Elle a explosé notre famille. Ce n'est pas un cauchemar duquel je vais me réveiller soulagée, non, c 'est la vraie vie. Il n'y a pas de doux réveil, il faut vivre avec cet arrachement, cette violence, ce manque. Il faut grandir avec. Il faut aimer avec. Il faut travailler avec. Il faut faire des enfants en sachant que ca, ça existe vraiment, et que ce n'est pas seulement une peur.