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Critique de beatriceferon


Qui la connaît, elle, la « soeur aux longs cheveux », Juliette Robineau-Duclos ?
Colette en parle de temps à autre, au détour d'une phrase. Mais pas beaucoup. Pourquoi ?
Françoise Cloarec est psychanalyste et sa thèse porte sur Séraphine de Senlis. Elle s'intéressera ensuite à d'autres femmes qui sont restées dans l'ombre, comme Camille Claudel ou Marie Laurencin.
Alors qu'elle est à Saint-Sauveur-en-Puisaye, elle décide de suivre la visite guidée de la « Maison de Colette ». Mais, au lieu d'accompagner le groupe, elle va s'attarder dans la chambre de Juliette, que le guide présente comme « une petite fille ingrate », approuvé par les personnes présentes, qui, jetant un regard sur sa photo, disent : « oui, indéniablement, elle est disgracieuse. » Françoise se hérisse : « Immédiatement, je veux la tirer de là (…) Je connais cette émotion, ce besoin de mettre en lumière ceux dont on ne parle pas, les disparus, les moches, les fous, ceux qui sont cachés ou à côté. »
Pour ma part, j'adore Colette. J'ai lu presque toute son oeuvre, les correspondances, les biographies de Geneviève Dormann, Jean Chalon, Michel del Castillo et bien d'autres. J'ai lu des documents parlant de ceux qui entourent l'auteure : Marguerite Moreno, Missy, Colette de Jouvenel (sa fille)...
Mais je ne connais pas Françoise Cloarec.
Lorsque j'aperçois son livre sur la table de la librairie, évidemment, je m'en empare.
La couverture, il faut le reconnaître, est saisissante : Gabrielle Colette y apparaît en majesté, alors qu'elle n'est pas au centre de ce travail. Son portrait (un des plus connus) est doux, rêveur, paisible. C'est alors qu'on remarque l'autre : Juliette, tout de noir vêtue, une robe à col montant, sévère, boutonnée jusqu'au menton. Certes non. Elle n'est pas avenante. Elle est le contraire de sa soeur. Sa demi-soeur, en fait.
Françoise Cloarec a de la chance. Lorsqu'elle était à Saint-Sauveur, elle a pu entrer dans la maison, parcourir les jardins, s'imprégner dans sa chambre de la présence de Juliette. L'endroit est un musée. Moi-même, je suis déjà allée deux ou trois fois dans le village de Colette, mais sa demeure (celle de sa mère, en réalité) n'était pas encore accessible au public. La façade avec son pignon, la grille du jardin d'en face, c'est tout ce que j'ai pu voir. L'endroit appartenait à des privés.
Françoise Cloarec est présente dans son livre, de temps à autre, elle intervient, elle explique les incidences de son travail sur sa vie personnelle. On peut deviner que se plonger dans l'existence morose de Juliette éveille des échos douloureux de ses propres souvenirs. Elle est également psychanalyste, elle fait donc aussi parfois allusion à des malheurs qui lui ont été confiés. A l'époque de Sido et de Juliette, on n'en parlait pas. On gardait sa souffrance bien cachée à l'intérieur de soi.
J'imagine que, pour se documenter, cela n'a pas été simple. Juliette est restée « dans l'ombre de sa soeur ».
L'ouvrage s'ouvre par ses noces, un moment normalement heureux et festif. Mais déjà, la pauvre épousée est « seule, assise à la table du banquet, immobile. La tête penchée, entraînée par la masse de ses cheveux bruns, aucune expression ne transparaît sur son visage. » Ce n'est pas une union d'amour romantique. On dirait que la famille est contente et soulagée de s'être débarrassée de cette étrangère, si dissemblable d'eux-mêmes. « Le Capitaine Colette (…) s'abandonne sur une chaise », « Achille ressent un tel malaise qu'il se sauve de la fête. Il saute le mur pour pénétrer dans le jardin de la maison maternelle et se mettre à l'abri. » « Léo, son cadet, s'est éloigné depuis longtemps, il flotte dans son monde. » « Sido s'en veut d'avoir remis sa fille aux mains d'un individu qu'elle connaît à peine et qui ne lui plaît pas. » Quant à Gabrielle (la future Colette), elle se réjouit du départ de sa demi-soeur. Elle va pouvoir déménager dans une pièce spacieuse et lumineuse.
Françoise Cloarec explique le mariage arrangé. le docteur Roché, le conjoint, n'a éprouvé aucun élan envers cette pauvre fille. C'est une amie de sa famille qui a établi avec lui une liste des partis intéressants et ce qu'il recherchait, c'étaient les propriétés et l'argent. Elle va remonter le temps pour évoquer un cas semblable en tous points : les épousailles de Sido et Jules Robineau-Duclos, le père de Juliette, qu'on surnommait « le sauvage », c'est tout dire, un ivrogne et une brute. Tout bébé, sa fille n'a donc connu que cris et disputes. Sido, qui n'était pas femme à se laisser faire, a bien vite trouvé un amant, qu'elle épousera dès la mort de Jules. Les trois autres enfants, ceux du Capitaine Colette, sont décrits comme lumineux, beaux, sans cesse en mouvement. Juliette, elle, s'enferme dans son refuge où elle passe son temps à lire.
Le récit de Françoise Cloarec est émaillé de citations, la plupart de la plume de Gabrielle, devenue Colette.
J'ai dévoré son essai qui m'a beaucoup plu, même si je n'ai pas appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas. Mais l'auteure a donné à Juliette une place à laquelle celle-ci n'a jamais eu droit et expliqué la raison de ce visage austère et fermé.
Cela m'a donné envie de lire ses autres livres consacrés à des femmes en marge de la société, comme Séraphine de Senlis ou Marthe Bonnard.
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