Dans une lettre à André Gide, Saint-Exupéry donne une triste et méprisable définition du courage : "Un peu de rage, un peu de vanité, un plaisir sportif vulgaire..." Je veux bien lui accorder la rage car je la connais, mais la vanité ? (...) Mot malheureux de la part d'un très grand écrivain, ou autojustification ? Paix à ses cendres, il a payé.
Huit mille pieds. Il faut redresser.Je tire sur la profondeur, doucement mais fermement. Dans l'air plus dense les commandes accrochent, et je vois l'horizon qui commence à filer sous le nez de l'avion mais la mer est déjà là ! Ce n'est plus le bloc solide que je voyais à quarante mille pieds c'est une masse mouvante verdâtre, ourlée d'écume, qui se rue vers mon avion. Je tire sur le manche rien à faire, je sens que je ne vais pas pouvoir redresser à temps.Alors je risque le tout pour le tout : je donne un tour de manivelle aux compensations de la profondeur Immédiatement un voile de sang s'étend sur mes yeux, je sens ma colonne vertébrale et mes os qui se tordent, un déchirement dans les entrailles, les joues qui se tirent sur les orbites, comme des doigts, qui m'arrachent les nerfs optiques.Tout est noir. La structure de l'avion craque ! Lorsque je rouvre les yeux, l'élan vertigineux m'a remonté jusqu'à quatre mille mètres. Un filet chaud me coule des narines et tombe sur les gants de soie.
Pour aller au quartier général de Schleswig,j ai voulu prendre le grand Charles et,au retour,je suis monté avec lui très haut dans le ciel d été sans nuages,car ce n était que là que je pouvais lui dire adieu.
Ensemble,nous avons fusé une dernière fois,droit vers le soleil.Nous avons fait Un looping- deux ,peut-être - quelques tonneaux bien lents,fignolés,amoureux,pour que je puisse emporter dans les doigts la vibration de ses ailes obéissantes et souples.
Et j ai pleuré,dans son cockpit étroit - Comme jamais plus de ma vie je ne pleurerai,je le sais - quand j ai senti le ciment de la piste effleurer ses roues,et que d un grand geste du poignet,je l ai assis au sol comme une fleur que l on coupe...
Comme toujours j ai soigneusement dégorgé son moteur,j ai abaissé un à un tous les contacts,éteint les voyants,enlevé les bretelles,les fils et les tuyaux qui me rattachaient à lui comme un enfant à sa mère.Et quand mes pilotes et mes mécaniciens qui m attendaient ont vu ma tête basse et mes épaules secouées par les sanglots,ils ont compris,et sont repartis silencieux vers le dispersal.
Je suis assis à côté du pilote du Mitchell qui me ramène à Paris.Je suis en uniforme de la RAF car les Américains n acceptent de prendre en stop que des Anglais.En roulant pour prendre sa piste,il longe les avions du wing- mes Tempest- impeccablement rangés aile à aile comme pour une revue.Près d eux,les pilotes et les mécaniciens agitent les bras.
Un peu à l écart,mon grand Charles,mon vieux J F E,avec sa casserole rouge,les croix noires de nos victoires sous le cockpit,trapu,volontaire,puissant avec sa grande hélice quadripale que je ne démarrerai plus.
C est la page qui tourne,douloureuse.
_ si vous êtes descendu en territoire ennemi,évàdez vous, mais si vous êtes pris,taisez vous.
Je monte sur le carcan d ombre qui ceinture la terre,vers le ciel maintenant lumineux d où les étoiles fuient....
Soudain,sans transition,comme un plongeur,je m enfonce en pleine lumière dorée.Les ailes de mon Spitfire s empourprent.L éblouissement est tel que je dois baisser mes lunettes tintées sur les yeux.
Au delà de la Hollande,là bas,très loin à gauche,le soleil émerge comme un lingot brûlant du bloc de plomb solide et inerte de la mer du nord.
Sous mes ailes,c est la nuit-et je suis seul,à 10000 mètres d altitude dans le jour.Je suis le premier à aspirer,dans le froid glacial,la vie chaude des rayons qui percent les prunelles comme des flèches......
Immédiatement un voile de sang s'étend sur mes yeux, je sens ma colonne vertébrale et mes os qui se tordent, un déchirement dans les entrailles, les joues qui se tirent sur les orbites, comme des doigts, qui m'arrachent les nerfs optiques.Tout est noir. La structure de l'avion craque !
Puis,c est le bruit des haches,qui déchirent ce qui reste du cockpit. Easy chaps.......easy........... Les mains gantées d amiante font basculer les débris enchevêtrés,rejettent les ferrailles rougies à blanc qui tombent sur l herbe en grésillant. ........et on voit............. Je ne sais ce qui me pousse en avant plus près......