Au lever de la pleine lune, les runes se mettent à luire. L'espace situé à l'intérieur de l'arche ondoie et se mue en un miroir ambré. La faible pulsation prend de l'ampleur. Les chevaux s'agitent, nerveux. Kalhen les détache et enroule les rênes autour de sa main. Je fixe le passage, troublée. Je n'ai encore jamais emprunté un portique. Il faut un début à tout...
Dans le maelström de couleurs qui envahit mon être, deux points d'ancrages m'empêchent de me perdre : Maël'Yenn préserve mon âme et Kalhen, mon corps. Je me focalise sur ces deux présences indispensables à mon intégrité et termine ce pas vers l'inconnu
« Sieur Anders est sûrement prévenu de votre venue. Je vous laisse ici, messire.
— Je te remercie, Shandra. À tout à l’heure.
— Peut-être… »
Pas si je peux l’éviter.
« Dans le cas contraire, rendez-vous demain à l’aube au pied du grand arbre, là-bas. »
D’un geste désinvolte en direction de la fenêtre, il désigne le majestueux chêne qui se dresse à l’orée de la forêt.
« Il s’agit de l’arbre sacré de la déesse, messire Xantar.
— Si tu le dis… »
Je me raidis à son manque de respect et me détourne sans le saluer. Il saisit mon poignet au vol. De ma main libre, j’empoigne mon sabre. Sans me laisser le temps de dégainer, il porte mes doigts à ses lèvres et les embrasse. Un arc électrique parcourt mes nerfs. Je m’immobilise, comme frappée par la foudre.
« À tout à l’heure, dame », répète-t-il d’une voix mesurée.
Demain ? Déjà ? Je renonce à me rebeller, à manifester ma colère. Les préceptes sont immuables. Et une fois entrée à l'académie, on n'en ressort qu'à son tour maître...ou mort.
Maël’Yenn.
Les mots s’impriment en lettres de feu dans mon cerveau. Le Buveur d’âmes. Après tant d’années, il me livre enfin son nom.
L’esprit guerrier tente d’appréhender l’esprit humain.
Un homme de haute taille, aux cheveux noirs coupés court, au teint halé par le soleil des plaines, se tient à ses côtés. Son nez busqué et ses iris dorés lui donnent un profil d’oiseau de proie.
A cet instant, je sais que mon coeur est perdu. Sa tiédeur, sa puissance, sa volonté de fer sont autant d'assauts qui ont égratigné ma carapace.