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Critique de Isidoreinthedark


Londres 2013. Musicienne d'origine grecque, mère de deux jeunes filles, Calista va bientôt avoir soixante ans. Elle pressent confusément que sa carrière de compositrice de musique pour le cinéma touche à sa fin. Sa fille cadette est tombée enceinte par « accident » et se prépare à avorter. Tandis qu'elle emmène sa fille aînée, en partance pour un voyage de quelques mois à Sidney, à Heathrow, Calista réalise que son rôle de mère pourrait lui aussi bientôt changer de nature.

Plongée dans ses pensées crépusculaires, elle repense à l'été 1976, durant lequel elle a quitté la Grèce pour découvrir l'Amérique. En arrivant à Los Angeles elle va faire une rencontre qui marquera durablement son existence : elle se retrouve par un improbable hasard à la table du célèbre cinéaste Billy Wilder. Entre la jeune femme un peu timide et le réalisateur vieillissant, se noue une forme de complicité immédiate. Si bien que quelques mois plus tard, Billy Wilder fait appel à Calista pour être son interprète durant le tournage en Grèce de son nouveau film « Fedora ».

Le temps d'un tournage en Grèce puis en Allemagne et en France, l'héroïne vivra un moment hors du temps en compagnie de l'équipe du tournage orchestré par Wilder et son fidèle scénariste Iz Diamond. Un moment hors des contingences du quotidien, léger et joyeux. Et pourtant. le retour en Allemagne de Wilder ramène à la surface les souvenirs d'un jeune juif qui a quitté l'Autriche pour fuir la barbarie nazie, et qui est toujours hanté par le souvenir de sa mère disparue pendant la seconde guerre.

Dans ce roman pour cinéphiles, Jonathan Coe quitte son thème de prédilection, la chronique sociale d'une certaine Angleterre, qui s'attache à décrire un pays en pleine mutation dans « Testament à l'anglaise » ou « Bienvenue au club ». En revenant sur l'âge d'or d'Hollywood, il dessine un tableau teinté de nostalgie mais bien vivant, celui du déclin de la génération de Wilder et de Lubitsch, qui « pouvait faire davantage avec une porte fermée que la plupart des cinéastes avec une braguette ouverte », et de l'avènement d'une nouvelle génération (Scorcese, Spielberg) que Wilder appelle avec une ironie affectueuse « les jeunes barbus ».

« Mr Wilder et Moi » est un roman doux-amer, porté par l'élégance « so british » de la plume de Jonathan Coe. Un roman souvent joyeux, qui revient pourtant sur la Shoah et la disparition de la mère de Wilder, qui ne cesse de tourmenter le réalisateur de « Certains l'aiment chaud ». le souvenir des atrocités commises par les nazis est abordé avec un tact très anglais par l'auteur, qui nous rappelle que « les pessimistes ont fini à Beverly Hills et les optimistes à Auschwitz ».

Le roman repose évidemment sur le parallèle jamais explicité entre Billy Wilder qui comprend que ses grands succès sont derrière lui et la narratrice qui constate qu'elle est, des décennies plus tard, elle aussi au crépuscule de sa carrière de compositrice. « Mr Wilder et moi » est un roman foisonnant, léger et profond, empli de drôlerie et de tristesse, qui nous rappelle qu'avec « le temps va, tout s'en va », et évoque la disparition inéluctable d'un présent ré-enchanté par ces instants touchés par la grâce dont Wilder a le secret.

Jonathan Coe nous narre un Billy Wilder déjà âgé et conscient de son déclin, qui fait face à ses démons enfouis au creux de l'holocauste, et reste néanmoins ce cinéaste génial et virevoltant, à l'humour incroyablement corrosif. le roman nous plonge au coeur de l'été caniculaire de 1976, nous emporte dans les îles grecques entourées d'une eau turquoise, nous permet de croiser Al Pacino et sa petite amie Marthe Keller, tout en nous offrant une réflexion touchante sur le temps qui passe ainsi qu'un portrait haut en couleur d'un grand cinéaste du siècle dernier : Mr Wilder.


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