On est toujours en attente, comme dans un village isolé en haute montagne, du petit événement qui troublera la journée.
Parfois, on rêve de retourner en cellule, pour s’isoler, et rêver. Ne plus se confronter au regard, à la vie des autres, à l’image des murs immenses et des barbelés. La cellule devient une échappatoire.
Sa mémoire défile comme un diaporama : bancs de sable, cocotiers, marécages, mangroves, et bunuk, un vin de palme. Son père était pêcheur en pirogue. Il utilisait des nasses ou des filets. Et sa mère cueillait des huîtres sur les racines des palétuviers à la saison sèche. Ils parlaient le wolof, et le diola.
Comment vais-je tenir des années sans sentir un homme, sans la frénésie des mains sur mon corps, la dureté d’un sexe heurtant ma chair, l’ébranlement et l’exaltation d’un instant ?
Je ne peux pas le croire. Je vais rester ici. À l’extérieur du monde. Dehors, tout va se métamorphoser. Les gens, la rue, les quartiers, les pancartes, les journaux, le climat, les espèces animales, les maladies, les vaccins, les livres, les films, et peut-être même les planètes dans l’univers. Et moi, je serai à côté. Décalée.
On ne peut pas ouvrir la porte de notre cellule comme bon nous semble. On doit attendre les heures de promenade, et les activités. C’est quelqu’un d’autre qui décide du timing. En attendant, on parle aux murs. Certaines deviennent folles. Voilà ce qu’on est, en prison : des putains d’assistés.
Ma bague de fiançailles miroite dans la faible lueur du jour. Un solitaire. Le seul bijou qu’on m’ait autorisée à garder. On m’a dérobé le reste. Dans une grande valise noire. Entreposée au-dessus d’une étagère colossale, enveloppée de poussière.
J’aimerais revenir en arrière. Effleurer sa joue. L’embrasser. Mordre ses lèvres avec avidité. Humer longuement son odeur. Poser ma tête sur sa poitrine pour écouter battre son cœur. Qu’il me serre fort. À m’étouffer. Ses doigts entre mes cheveux. Un réflexe.
On m’a ordonné de me déshabiller. On m’a fouillée intégralement. De la tête aux pieds. Nue. Une femme en uniforme. Froide. Distante. Un robot. L’humiliation profonde.