Les années que passent Chagall en Russie, de 1914 à 1922, sont d'une densité exceptionnelle. Commissaire aux Beaux-Arts de Vitebsk et directeur de l'école d'art qu'il a fondée, il vit avec ses compagnons dans l'exaltation des idéaux révolutionnaires. A Petrograd et à Moscou ensuite, il œuvre pour des théâtres en donnant libre cours à une verve fantaisiste et enjouée.
L'exemple des toiles suprématistes présentées du vivant de Malevitch dans plusieurs positions rappelle que l'espace suprématiste n'a ni haut ni bas, ni droite ni gauche et que les éléments qui s'y trouvent en état de suspension sont sans orientation de type euclidien. Malgré des juxtapositions et des superpositions de différentes couleurs et dimensions, tout effet de profondeur est aboli et l'impression prégnante est celle d'une grande planéité.
Après s'être essayé à tous les styles des avant-gardes européennes et russes, passant allègrement de l'impressionnisme au néo-primitivisme ou au futurisme, Malevitch a élaboré en 1915 les principes esthétiques d'un "monde sans objet", rejetant l'illusionnisme et abolissant le réel. Dans sa quête d'une picturalité pure, le suprématisme promeut une nouvelle vision du monde et mène l'artiste aux limites de la peinture.
Le critique a parfaitement compris les intentions de l'artiste. En donnant naissance au suprématisme, Malevitch ne visait pas à introduire un nouveau style dans la compétition artistique mais bien à promouvoir une nouvelle vision du monde, fortement teintée d'esprit messianique. Celle-ci est exposée dans le manifeste "Du cubisme et du futurisme au suprématisme, le nouveau réalisme pictural". Les premières phrases donnent le ton : "Quand la conscience aura perdu l'habitude de voir dans un tableau la représentation de coins de nature, de madones et de vénus impudentes nous verrons l'œuvre purement picturale. Je me suis métamorphosé en zéro des formes et me suis repêché dans le tourbillon des saloperies de l'art académique".
L'Ounovis. L'art dans la ville.
L'Ounovis, "les affirmateurs du nouveau en art", rassemble sous la houlette de Malevitch et d'El Lissitzky les artistes avant-gardistes de l'école de Vitebsk. Rallié au suprématisme, ce groupe enthousiaste et prolifique œuvre dans un esprit collectif à la réalisation d'une utopie sociale et politique où l'art s'immisce dans chaque parcelle du quotidien et porte les valeurs du nouveau régime.