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Critique de michfred


Mrs Bridge vit à Kansas City, Mrs Bridge fait ses courses à la Plaza, Mrs Bridge est mère de trois enfants - Ruth, Carolyn et Douglas-, Mrs Bridge a une domestique noire, Harriett, qui fait tout dans la maison,Mrs Bridge est l'épouse d'un homme d'affaires, Mr Bridge, qui travaille beaucoup et gagne beaucoup d'argent,Mrs Bridge a aussi des amies avec qui prendre le thé ou évoquer les derniers potins.

de temps en temps une guerre éclate, une amie se suicide, son mari l'emmène en Europe, sa fille préférée fait un méchant mariage.. mais la plupart du temps il ne se passe rien, dans sa vie, que de menus événements, dérisoires, répétitifs, et surtout lointains, comme déconnectés de sa petite existence gâtée, grise et bien réglée de wasp américaine et provinciale.

Parfois le doute ou l'inquiétude étreignent son petit coeur de porcelaine.

Parfois elle entrevoit les failles terribles du temps, celles de l'incompréhension, celles du malentendu - derrière le blindage ouaté de la bonne éducation qui veut qu'on ne parle jamais de ce qui va mal, de ce qui dérange, ou de ce qui choque.

Parfois elle voudrait bien passer outre la crainte paralysante du qu'en-dira-t-on et demander à Douglas, son enfant sauvage, plein de bon sens et de colère, pourquoi il construit une tour de détritus dans le jardin, pourquoi il se bat de toutes ses forces contre Tarquin, le petit voisin psychopathe- mais de si bonne famille pourtant! Mais elle se contente de faire détruire la tour, de prodiguer à son fils des conseils de patience et de civilité...

Parfois elle retrouve dans Carolyn sa propre inadaptation à la vie, son incapacité à faire face aux problèmes domestiques, à concevoir d'autre activité que celles de ses loisirs et de ses 'achats..Mais elle ne peut lui dire qu'elle aussi souffre d'être ainsi éloignée du monde, coupée des autres et de la vie matérielle par une éducation, un milieu social trop protégés. Alors elle essaie de la persuader que tout va s'arranger, son mariage raté, sa souffrance...

Parfois elle est sur le point de dire à Mr Bridge qu'elle désire autre chose: un peu plus d'amour, un peu plus de ferveur, un peu plus de mots, ou même simplement, un peu moins de domestiques, un peu plus de choses à faire.

Parfois une amie -Grace Barron, la transgressive-, parfois Ruth, sa fille "artiste", aux ongles faits, à la bouche rouge, aux talons hauts, partie vivre enfin sa vie à New York, loin du regard lourd de blâmes de sa mère, parfois Alice Jones, la petite fille du jardinier noir arrivent à lézarder l'édifice fragile des certitudes qu'elle s'est construit pour se mettre hors d'atteinte du monde..

Serait-elle réactionnaire? vieux jeu? hypocrite? raciste? Mais très vite, elle replonge dans la mer tiède des habitudes et du désoeuvrement..

Et le temps passe. Les enfants grandissent, mûrissent, partent, ratent ou réussissent leur vie; la guerre tue et mutile, le travail aussi.

Et Mrs Bridge au milieu des coups du sort, des cruelles ironies du destin, reste comme la vieille Lincoln coincée dans le garage: entre deux portes, entre deux eaux, entre deux mondes. Ni dedans, ni dehors.

Un livre étonnant: un peu ennuyeux mais brillamment écrit, plein d'une ironie douloureuse, et d'une mélancolie distinguée, détachée...

Constitué de 117 petits fragments, apparemment décousus, il tisse pourtant à points serrés un portrait de femme à la Mrs Dalloway, subtil et désenchanté, cruel et percutant: on a le coeur broyé mais sans pathos et sans larmes.

Je suis vraiment curieuse de lire son pendant : Mr Bridge, qui doit donner à ce portrait de femme rompue, effacée, envolée, son contrepoids attitré.Dommage de ne pas avoir réuni les deux faces de ce Janus conjugal dans la même réédition!

En tous les cas, c'est une belle découverte, une oeuvre vraiment intéressante et je remercie de tout coeur les éditions Belfond et Masse critique de Babélio pour m'avoir permis d'en bénéficier!
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