AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de dconstanciel


Passons sur le caractère peu soigné de l'édition, péchant par endroits par de trop nombreuses fautes de frappe. Lire en enfilade cinq oeuvres de Joseph Conrad est sûrement un bon moyen de s'immerger dans son univers. "Lord Jim" y prend une place particulière, par sa réputation bien établie mais aussi par le caractère relativement annexe qu'y revêt l'élément marin dans une sombre mise en question des valeurs. Un jeune homme empli d'idéaux choisit en une seconde fatidique de se sauver plutôt que d'accomplir son devoir au péril de sa vie. A jamais déshonoré aux yeux du monde, il échappe à sa réputation et à sa mauvaise conscience en abordant un coin de terre perdu. Élevé au rang de demi-dieu par les indigènes, il trahit la confiance de celle qui l'aime en abandonnant sa vie par idéal. Qu'est-ce donc qu'une vie honorable ? Dans l'esprit de Conrad, tout n'est assurément pas équivalent puisque certains protagonistes sont de véritables suppôts de Satan, mais l'ancien bourlingueur des mers n'aime visiblement pas les moralisateurs en chambre à la manière du père de Jim, pasteur aux certitudes universelles. "On le voit d'ici, grisonnant et serein, dans l'inviolable asile d'un cabinet de travail confortable et fané où, sous les murs tapissés de livres, il a pendant quarante ans de sa vie, fait consciencieusement le tour de ses humbles pensées, touchant la foi et la vertu, la conduite de la vie et la seule façon correcte de mourir ; où il a composé tant de sermons, d'où il écrit à son garçon, si loin, de l'autre côté de la terre. Mais qu'importe la distance ? La vertu est une, d'un bout du monde à l'autre, et il n'y a qu'une foi, qu'une façon convenable de mener sa vie, qu'une manière de mourir (...) Il [Jim] n'y a jamais répondu, mais qui saurait dire, pourtant, quels colloques muets il a tenus avec toutes les ombres placides et sans couleur d'hommes et de femmes qui peuplaient ce coin du monde paisible, aussi bien à l'abri des luttes et des périls que peut l'être une tombe, et respirant sagement une atmosphère de calme rectitude" (page 543). Exposer sa vie sur une coquille de noix perdue entre ciel et mer interroge sur le sens des choses, même un lecteur en chambre n'en doutera pas, sans chercher le moins du monde à connaître l'épreuve des quarantièmes rugissants. Mais il sera surtout reconnaissant à l'ancien marin, revêtu de l'aura des grands écrivains, pour cette prose élégante et sensible qui, au détour d'une phrase somptueuse, donne la conviction profonde qu'il est bien des leurs. Et, tout hommage rendu à la force émotionnelle des histoires romanesques (dont rien ne donne meilleur témoignage que le dénouement du "Frère-de-la-côte", à la toute fin de l'ouvrage), peut-être cette conviction doit-elle davantage encore à l'épure des simples récits, tels que ceux qui composent "Le miroir de la mer" : "Depuis qu'il y a des hommes, aucun d'entre eux n'a jamais pu, me semble-t-il, sincèrement affirmer avoir vu à la mer cet air de jeunesse que prend la terre au printemps. Mais il en est, parmi nous, qui, regardant l'océan avec entendement et tendresse, lui on vu l'air si vieux que les siècles immémoriaux semblaient avoir émergé du limon inviolé de ses profondeurs" ("Le caractère de l'adversaire")...
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}