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Critique de Annezzo


Enfin fini mon pavé de 900 pages.
Je ne connaissais pas ce Pat Conroy, mort récemment. Ce fut un chouette voyage.
Le gars aurait écrit un chef d'oeuvre, le Prince des Marées. Ce Beach Music n'arrive pas à égaler son grand aîné, dit-on, ach, dur dur d'être écrivain. Néanmoins, prenons la barque du bayou et arrivons... à Rome.
Le héros, Jack, s'y est installé avec sa fifille, Leah, après la mort de sa femme (et mère de la petite) Shyla par suicide. Là-bas, en Caroline du Sud.
Il ne veut plus entendre parler, ni de ce deep south de sa jeunesse, ni de sa famille, ni des parents de Shyla qui lui ont fait un procès pour obtenir la garde de la gamine. Il a gagné le procès, et s'est barré loin, très loin. Dans un pays aimable, d'autant plus avec sa profession de guide et critique culinaire.
C'est là que ça pêche un peu : il ne veut plus jamais entendre parler de son père qu'il hait, de sa mère qu'il rejette en masse... mais en un claquement de doigt elle devient sa mère adorée, et son père, un alcoolique certes, mais finalement fréquentable. Quant à ses beaux-parents, en écoutant leur histoire, il comprend tout et évidemment, ne peut plus leur en vouloir...
Outre ces "trop" et "jamais plus" et "pour toujours" déplacés,
la galerie de personnages est riche.
En Caroline du Sud, ils étaient une bande de copains, quatre gars, et deux filles, dont Shyla l'ardente. Deux des gars avaient des pères extrêmement violents avec leur progéniture. Lui et ses quatre frères (aux noms rigolos : Tee, Dupree, Dallas, John Hardin), battus au gré des saoulographies du père. Et le père de Jordan, militaire intransigeant et sectaire, tabassant son fils unique à la moindre contrariété.
Ca pêche à la mer entre les bayous, ça se gorge de crevettes et poissons au barbecue, ça crapahute dans des cabanes. Ca milite contre la guerre du Viet-Nam. Ca se perd en mer et rencontre des marsouins, ou même une raie géante très très géante. Les deux copains chanceux veulent devenir qui député, qui producteur hollywoodien. Les deux ex-enfants battus font ce qu'ils peuvent, fuyant en Italie pour l'un, dans la religion pour l'autre. Shyla s'enflamme, se passionne, aime énormément, danse, entraine, exalte - et se jette du pont en laissant une lettre d'adieu. Ledare, l'autre fille de la bande, est plus sérieuse, posée, amoureuse, observatrice, douce, et finalement craquante.
En morceaux séparés, en short stories dans le gros roman, on se régale. On découvre le destin de la mamma, si dur. Les humeurs du dernier frère, John Hardin, chiantissime, parfois dangereux, tendre, sincère, allumé... bref, un schizophrène que sa famille supporte, et protège malgré tout le soucis qu'il leur cause à tous. Et puis Jordan, le fils du militaire, qu'on aime aimer, génie du base ball, du surf, de la rébellion, de l'amitié et en quelque sorte, d'un beau catholiscisme. le militantisme de Shyla, et de Casper le futur politique, contre cette guerre du Viet Nam dont on ne savait pourtant pas grand chose dans les facs de Caroline, ce deep south attachant.
Et puis soudain, on file en Europe de l'Est avec les parents de Shyla. La mère, fuyant la Pologne envahie par les nazis, repêchée par le gentil Max le Grand Juif, qui la "rachète" sans la connaître. Parce qu'il se sent impuissant depuis sa Caroline du Sud à sauver la vie de chaque membre de sa famille restée là-bas et qui sera engloutie, lui le juif russe ayant par miracle - et courage - échappé aux Cosaques, les nazis russes des pogroms. Et puis le père de Shyla se raconte, et soudain, depuis un bouquin si américain - du Sud - mâtiné d'Italie, un bouquin si plein de vie, d'amitié, de gourmandise, de soleil, et ses petites tortues qui courent par centaines vers la mer lors de l'éclosion des nids... on atterrit au pire de la shoah, depuis le ghetto de Varsovie jusqu'aux camps. Evidemment c'est un cauchemar, évidemment ceux qui ont survécu sont quand même des morts-vivants. J'ai dû sauter quelques pages tellement c'était hard, voilà, le père a raconté, en détail... On en sort délabré, on revient sur la plage des tortues que la Mamma essaie de sauver, on reprend la vie des quatre copains, des cinq frères...

Un peu le bintz ce livre, avec ces morceaux de bravoure, mais les rapports humains un peu ratés, comme si l'auteur voulait tout dire et bâclait les liens entre toutes ces histoires pour balancer ce pavé. N'empêche, à la fin du livre on n'a plus envie de les quitter, ces gens avec qui on vient de passer des semaines. C'est marrant un livre, un gros livre comme ça. Il se crée un attachement. Il n'y a pas d'images, mais les images se créent, avec une brume onirique.
Avec sa bonne tête de bon gars qui ne ferait pas de mal à une mouche, l'écrivain a sombré dans une profonde dépression après ce Beach Music, sa première femme était juive comme Shyla, peut-être a-t-il réellement recueilli ces histoires venues de l'Est...

Faut voir, le Prince des Marées, histoire de retourner en Caroline, surtout si c'est un chef d'oeuvre. Surtout après avoir appris que l'écrivain et ses frères ont carrément été martyrisés par le père, battus à mort parfois, que plusieurs fils ont voulu se suicider, que l'un d'eux a réussi...
J'ai noté dans le récit du père juif, grand pianiste, qui n'avait pas vu venir le tsunami destructeur nazi, que "après tout on se disait que les Allemands étaient des êtres humains comme tout le monde, impossible de croire à ces horreurs qu'on nous rapportait sur eux". J'avais jamais vu ça sous cet angle. Evidemment, ils étaient des humains comme tout le monde. Puis sont sortis de l'humanité. Comme les terroristes de maintenant. Comment peut-on à ce point balancer son humanité à la poubelle comme ça, et faire subir l'insupportable à d'autres humains... Dans le Choix de Sophie, William Styron tente une réponse. Mais ça reste quand même un mystère...
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