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Critique de gabb


Quand j'ai lu l'an dernier le Prince des marées, j'avais la certitude d'être en présence DU grand livre de Pat Conroy, de son roman le plus abouti.
Le suivant serait forcément moins bon.

Et paf ! Voilà que je tombe sur Beach Music, et que j'y retrouve avec joie le même souffle narratif, la même ambition, la même abondance de personnages aux caractères parfaitement fouillés, le même soin du détail et la même savante alchmie d'humour, de drame, d'exubérance, de surprises et d'émotions...
Bref, je redécolle au quart de tour !

Nous voilà cette fois en présence de Jack McCall, un quarantenaire natif de Waterford (Caroline du Sud), depuis peu exilé à Rome avec sa fille Leah et bien décidé à ne plus jamais remettre les pieds outre-Atlantique.
Que fuit-il ? Sa famille bien sûr (une mère un peu azimutée, un père incapable de faire face à ses penchants alcooliques, quatre frères tempétueux avec qui il entretient des rapports complexes), mais aussi et surtout une tragédie incommensurable, le suicide de sa femme Shylla, la mère de Leah.
Alors oui, Jack a fini par larguer les amarres. Pour conjurer ses douleurs d'hier, il s'est promis de couper définitivement les ponts avec les siens ("Le passé était le pays par excellence où j'évitais de faire des incursions inutiles"), de tourner le dos une fois pour toute à la terre de ses ancêtres et aux souvenirs qui la hante.
Mais bien sûr il ne faut jamais dire jamais ! Divers évènements vont pousser notre narrateur à rebrousser chemin et à renouer contact avec ceux qu'il avait reniés, pour exorcicer enfin tous ses vieux démons et nous faire la démonstration - s'il en était besoin - que "l'exil est le plus sûr moyen de sanctifier le chemin du retour au bercail".

Quel étonnant revirement ! Quelle "ampleur" et quelle fluidité dans la narration ! Quelle maitrise dans la construction !
Rebondissements multiples, alternance des époques et des générations (l'auteur insère dans son récit contemporain de vastes séquences sur la guerre du Vietnam ou sur l'enfer de la Shoah), interconnexions soigneusement travaillées entre les trajectoires de chaque personnage : Pat Conroy est sur tous les fonts ! Il se joue allègrement des contraintes chronologiques sans pour autant donner l'impression de s'éparpiller, et son roman qui se déploie en ramifications tentaculaires sur plus de 900 pages, reste de bout en bout cohérent et très addictif !

L'ensemble est bien sûr trop dense pour que je puisse ici en faire la synthèse, mais difficile quand même de ne pas évoquer la profondeur et l'originalité de cette histoire, la puissance des liens qui unissent Jack - presque malgré lui - au reste de sa famille et à ses amis d'enfance, avec qui il partage des souvenirs très forts. Tous ont contribué à faire de lui l'homme à la fois résolu et brisé qu'il est devenu, tous participent de cet héritage sacré, dont notre héros comprend peu à peu qu'il est vain de vouloir se délester.
La relation qu'entretient Jack avec les siens, ainsi qu'avec sa région natale, est en effet particulièrement intense, et parfaitement atypique. Elle oscille continuellement entre amour et répulsion, entre ressentiment et adoration, et c'est avec beaucoup de justesse que l'auteur met en scène ce tiraillement perpétuel.

Pour agrémenter les descriptions superbes des basses terres marécageuses de Caroline du Sud que Conroy connaît comme personne, il nous offre des dialogues vivants et savoureux, notamment entre les cinq frères qui s'adonnent à des joutes verbales incessantes faites de piques acerbes, d'humour et d'ironie mordante.
Les rancoeurs semblent tenaces, mais une fois que les dernières digues d'hostilité ont cédé, c'est une histoire pleine tendresse qui prend le pas sur les colères d'hier. Ainsi les scènes de réconciliation finales, alors qu'un proche de Jack vit ses derniers instants, sont tout à fait poignantes.

En clair et en bref : Beach Music est à nouveau une franche réussite, l'oeuvre incroyablement riche d'un conteur hors-pair. A la lecture de ce retour aux sources éprouvant mais salvateur, on ne peut que s'interroger. Est-il vraiment possible de rompre avec le passé ? Serait-ce par ailleurs souhaitable ?
Pat Conroy et moi-même ㋡ estimons que non.
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