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Critique de colimasson


On a ici trois conférences données par Henry Corbin en 1970, 1971 et 1977. Elles sont regroupées en vertu de leur thématique commune : l'Ange. En fait, ce n'est pas aussi con qu'on pourrait le croire. Avec nos idées à raccourcis, à cause de mauvais traitements, ce terme de l'ange avait fini par signifier à la limite pédale, mais pas grand-chose de plus. Mais si on se réfère à la doctrine sohravardienne de l'Ishrâq, l'Ange serait le double céleste de la psyché terrestre, le principe transcendant de notre individualité.


Pour comprendre les subtilités de tout ce marasme, il faudra se plonger dans la gnose shî'ite duodécimaine. Pas forcément accessible, il faudra avoir quelques prérequis (Corbin ne se fait pas chier à en donner beaucoup) ou accepter de passer du temps sur chaque paragraphe. On peut aussi reconnaître que ce n'est la raison principale pour laquelle on a ouvert ce bouquin. Alors, pour quoi ? Par exemple pour découvrir les similitudes entre cette doctrine sohravardienne de l'Ange et les différents récits d'initiation qui peuplent la gnose, jusqu'à l'individuation dont parle C. G. Jung en rappelant la nécessité de retrouver le Puer aeternus qui marque « l'avènement céleste de la maturité spirituelle ».


La rencontre avec l'Ange doit se dérouler dans l'Orient moyen ou intermédiaire, qui correspond également au monde de l'Imaginal si cher à Corbin ou encore au monde de la Magia-Imaginatio de Jacob Boehme. Pour y accéder, la compréhension de la fonction transcendante décrite par Jung semble nécessaire comme lien un peu limite et approximatif proposé comme jonction moderniste entre l'Orient et l'Occident.


Souvent, c'est un appel qui nous pousse à effectuer cette rencontre, comme nous le dit si intimement Ostanès le marge perse dans le Livre des Douze Chapitres : « Cette pierre vous interpelle et vous ne l'entendez point ; elle vous appelle et vous ne lui répondez pas. O merveille ! Quelle surdité bouche vos oreilles ! Quelle extase étouffe vos coeurs ! ». On pense au Conte du Graal, on pense plus généralement au chevalier, au javânmard, membre de la chevalerie spirituelle qui, s'il semble livrer un combat contre le monde extérieur, est en fait plus profondément uni à ses semblables par la nécessité de faire advenir celui qu'on appelle le 12e Imâm, le Paraclet ou l'Homme Parfait, en redécouvrant le sens de la Parole perdue. Oui, tout cela ressemble à de la grosse soupe, aussi faut-il prendre le temps d'en extraire les morceaux de légumes les uns après les autres.


« Ces « Amis de Dieu » sont les yeux par lesquels Dieu regarde, c'est-à-dire « concerne » encore le monde, et tous nos spirituels sont d'accord sur ce point : c'est par eux, c'est grâce à leur communauté incognito, grâce à leur pôle mystique qui est l'Imâm, que le monde de l'homme continue de subsister. Il y a là une fonction de salut cosmique qui est infiniment plus grave et a infiniment plus de portée que toute fonction sociale. »


Si chacun d'entre nous a donc un Ange, « l'âme ainsi incarnée possède un « Pair-companion », un Double céleste qui lui vient en aide et qu'elle doit rejoindre, ou au contraire perdre à jamais, post mortem, selon que sa vie terrestre aura rendu possible, ou au contraire impossible, le retour à la condition « célestielle » de leur bi-unité ». Il n'y a donc pas de solitude fondamentale, simplement une dualitude ignorée, et notre comportement ici-bas, par ce qui ressemble à une loi des correspondances, trouverait son écho dans l'au-delà. L'âme et son Ange, comme deux particules imbriquées, peuvent ne pas se connaître sur l'espace de notre monde terrestre mais souffrir ou s'épanouir l'une de l'autre.


« Telle est l'Image enfantée ou l'extase vécue ici-bas par chacun, telle pour chacun sera sa mort. […] Nul ne peut espérer avoir dans l'autre monde la vision qu'il aura refusée ou profanée, livrée aux Ténèbres en cette vie. »


L'approche essentiellement orientalisante de ces réflexions est certainement bienvenue pour la constitution d'une sorte de transversalité soutenue par l'idée d'une religion pérenne mais je, qui dois réapprendre tout le langage de la religion de ma culture, ne pourrais rien retenir de ce pourtant brillant ouvrage prenant pour appui l'islam. Ainsi me contenterais-je (et serais-je ainsi comblée) de m'intéresser à l'Ange selon le christianisme.
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