Citations sur Escalier F (19)
Ce qu'il y a de sûr, c'est que désormais nous irions boiteux, puisqu'il manquait deux pattes au cheval de bois de l'enfance.
" On ne parlait pas au sixième droite de l'escalier F.
Là- haut on avait les becs clos. Des clous aux commissures des lèvres."Ce qui n'empêche pas de l'ouvrir. Résultat , ça saigne.....On s'y fait....."
Elle me pompait l'air avec ses malheurs à répétition, l'air de chien battu qu'elle prenait à la moindre occasion. D'accord, elle avait morflé, et gravement. Mais des coups, on en avait tous pris. Beaucoup trop. Entendu. Et après, était-ce une raison pour marcher le reste de sa vie la queue entre les jambes ? Elle m'excédait quand elle plaquait sur son visage son masque de victime. Au secours, ça va, on a compris, pas la peine d'en rajouter une couche. Ronge-nerfs, la grande, quand elle se glissait dans ce rôle-là.
Ainsi revient Mirette, ma première morte. Elle était rousse, douce et chaude. C'était un jour d'été, nous étions toutes deux sur le seuil de la porte, entre mes jambes écartées elle dormait au soleil, des petits bougeaient dans son ventre. Puis le père Duval est sorti de la maison de grand-mère, il s'est dirigé vers la grange, en est ressorti avec le fusil à l'épaule, une pelle à la main. Il a foutu un coup de pied au cul de Mirette et puis tous deux s'en sont allés vers la forêt de l'autre côté de la route. Jambes repliées, j'ai attendu leur retour. Le vieux est revenu seul. Il a rangé la pelle terreuse comme ses sabots dans la grange. Une fois dedans il a dû raccrocher son fusil au râtelier. Il n'a rien dit, je n'ai rien demandé. Quand on n'est pas habitué à le faire. J'ai juste remonté mes genoux sous mon menton et j'ai pleuré.
Ça commence tôt, l'apprentissage.
Andrée reposait sur un brancard accolé à la kitchenette, vêtue de son unique robe noire en coton, rendu pelucheux par trop de lavages, de temps. Les bras croisés sur la poitrine, l'air farouche, elle semblait encore dire :
- C'est toi qui m'as mise là. C'est à cause de ce que tu as écrit, qu'ici et là-bas j'ai été maltraitée. Tu es fautive, ma fille, fautive ! Et tu le sais.
Oui je sais, je suis fautive d'abord d'être née fille. Ensuite de ne pas être devenue folle ou de ne pas m'être suicidée, enfin d'avoir écrit ce qu'il faut taire à tout prix. À savoir qu'un père peut abuser de sa fille de onze ans et ce jusqu'à sa majorité, vingt et un ans à l'époque, sans que personne dans l'entourage ne pipe mot. J'entends au premier chef la mère, l'école, l'assistante sociale, le médecin, les voisins et tout le saint-frusquin ! (P121)
Inceste, un mot tabou chez nous et partout. Un mot qui résonnait comme celui d'une maladie honteuse, d'une tare que l'on planque. Le psychiatre qui s'était occupé d'Ed parlerait de culture incestueuse dans le milieu d'origine. Je ne sais pas très bien à quoi ça rime. Et après, ça excuse quoi ? Un homme adulte avait abusé d'une enfant de deux ans, voilà tout ! C'était un malade. Et quant à sa femme, qu'avait-elle dans les yeux ? Ma mère, et toutes les mères du monde qui laissent violer leurs enfants sous leurs yeux, qu'ont-elles dedans ? La peur des coups, d'être quittées, de ne plus savoir où aller ? L'arrangement, pendant que tu t'occupes de la petite, tu me laisses tranquille. (P117)
En chemin j’ai acheté un bouquet de renoncules roses, j’aimais cette fleur à tête lourde, qui ployait sur sa tige. Elle était pour moi à l’image de ce que nous étions, beaux et penchés.
Depuis le début elle était un poison pour moi. Et Dieu sait si le poison a ses attraits. Un temps toujours. Celui-ci passé, vient la révolte, l'inavouable désir de souhaiter la mort de celle qu'hier on adorait.
Demain a de grandes exigences. Il attend tout de toi, y compris que tu ne baisses jamais les bras. Demain est un tyran qui te veut debout, jusqu'au bout.
D’un jour à l’autre, de quarante clopes par jour, j’étais passé à zéro. Une question d’esthétique. La teinte de l’émail de mes dents soudain ne m’avait pas plu. Mais ce sevrage brutal avait je crois déplu à mon cœur. Ce qui fait que depuis ce temps-là je marche à piles et que Lulu m’appelle Alcaline.