Gérard en fin limier avait fort bien flairé qu'il fallait que je change d'air avant les grandes vacances. J'avais un besoin urgent de dépaysement. En attendant, je ne retournerai pas au Sportsman. Ce qu'il me fallait, c'était travailler dans une taule, une vraie, avec des femmes, des chouettes. Rien de tel qu'une bonne promiscuité enrichissante pour la débutante que j'étais. Quoi de mieux qu'un travail de groupe quand on n'est pas affranchie ? Au contact des autres, j'apprendrai, qui sait ? Je deviendrai peut-être une gagneuse ?
Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y, et nous resterons sur la terre qui est quelquefois si jolie… J’ai tout mélangé une fois de plus ! Le catéchisme et Prévert, le collège et le bordel.
J’ai demandé à France si elle avait peur. Je n’arrivais pas à l’appeler la Zone. Elle m’a répondu qu’elle n’aimait pas les oiseaux, et qu’il y en avait à Saint-Lazare.
C’est ainsi que j’avance dans les dédales de la prostitution, bille en tête, l’œil agrandi, ne me ménageant à aucun moment, ne refusant jamais un client, qu’il soit bossu ou tordu, manchot ou cul-de-jatte, sadique ou masochiste, répugnant. un sexe lavé devient un sexe propre et les préservatifs ne sont pas faits pour les chiens.
Je veux connaître mes limites, les toucher, m’effondrer pour me retrouver. Cela devient une véritable obsession. Il me semble que je vis un cauchemar, traversé de temps à autre par de fulgurants éclairs de réalité. Je souffre en reculant chaque jour mes limites, tente d’élucider le mystère qui fait que je suis inconnue de moi-même. Je me regarde dans la glace sans me reconnaître, je fais des grimaces qui n’évoquent plus rien à celle qui les reçoit. Quand je sombre dans ces périodes de crises, de plus en plus fréquentes, j’imagine que je finirai un jour par être internée dans un asile dont je ne sortirai plus. Avec qui partager mes angoisses ? Qui comprendrait ? À qui pourrais-je confier que j’ai peur d’aller chez ma mère, que sous son regard je deviens transparente, que je n’ose plus embrasser mes petits frères, de peur de les salir ? J’ai un écriteau dans le dos, sur le front, sur la poitrine, une petite ardoise noire où est écrit à la craie blanche le mot putain.