Je suis une fille désaccordée, j'ai l'impression de ne plus sonner juste, comme un instrument de musique bastringue dont les cordes ne répondent plus qu'en couinant et beuglant.
Alors je joue le morceau pour tenter de rétablir cette chose déglinguée en moi. Je me concentre sur le rythme syncopé, alternant à contretemps les temps faibles et les temps forts.Je murmure: «Desafinado,» Je m'imprègne de sa suavité. Je suis tel un bateau naviguant sur les vagues de la bossa et la mélancolie de la mélodie me fait chavirer. Je suis éponge . La musique se répand à lintèrieur de mon êre en minuscules ruisseaux, elle s'introduit dans mes cellules et trouve demeure dans ma poitrine. Desafinado. La langue brésilienne résonne caressante dans ma bouche. Je chante la peine et la tristesse, je chante la musique qui est plus forte que tout. Par moments, la chanson frôle avec le faux et les disharmonies.
Et c'est ce jour pas comme les autres que ma maman est partie pour toujours. Elle n'a pas quitté la maison pour s'en aller vers d'autres bras que ceux de mon père. Non... Elle a fait une attaque cérébrale, un truc rare pour son âge.
Je pense à ce que mon père me répétais lorsque je débutais le ukulélé : "La musique peut nous sauver." Et je songe à la chance que j'ai d'avoir ce petit instrument avec moi.
-Je sais, mais moi, je ne vois qu'un type mal dans sa peau, qui a envie de tout péter, parce que rien ne va dans sa vie.
Et quand je sortirai du système scolaire, je n'aurai plus aucune énergie pour, enfin, commencer ma vraie vie.
Moi, je rêve du jour où j'en aurai fini avec tout ça : les cours inintéressants et interminables, les journées assises sur des chaises inconfortables, les profs, les petits cons, le bruit, les règlements intérieurs débiles.
Je suis en colère après mon père. Je ne sais pas pourquoi. On ne s’est jamais disputés. Il n’y a jamais eu un mot plus haut que l’autre entre nous. Et là, je sens cette petite chose pleine de mauvais sentiments monter et grossir en moi. Serais-je en train de devenir méchante ? Une mauvaise fille qui ne supporte plus rien ? Je m’avance vers le miroir du salon. Je me regarde. Qui suis-je donc ? Qu’est-ce qui me rend si amère ?
Je dis à mon père tout ce que je ne supporte plus. La mort. La mort, je n’en veux plus. Je veux que les gens autour de moi soient vivants pour toujours.
Je suis tel un bateau naviguant sur les vagues de la bossa et la mélancolie de la mélodie me fait chavirer. Je suis éponge. La musique se répand à l’intérieur de mon être en minuscules ruisseaux, elle s’introduit dans mes cellules et trouve demeure dans ma poitrine.