En descendant l’escalier sans qu’une seule marche ne grince, elle comprit qu’à présent, se déplaçant sans bruit dans un lieu si sensible aux vivants, elle faisait partie du domaine, au même titre que les meubles et les fantômes.
Amand Deville marchait vers sa mort. Une main sur la canne, l'autre sur le bras de son neveu. Son corps paraissait noyé dans son costume, seul le regard persistait à vivre. Ses grands yeux malins accrochèrent ceux de sa fille dès l'instant où il apparut, une fois le portail refermé, devant l'escalier du domaine.
Elle admira ces lignes nouvelles qui roulaient sous le genou, se demanda quel goût pouvaient avoir ces nourritures indispensables à la vie vécue, puis elle quitta, comme une reine sa couronne, sa chambre pleine des deux odeurs. Elle descendit au petit salon sans avoir lavé ses jambes.
Il acquiesça doucement, sans une expression d’agacement, ou de sévérité. Aimée sentit son cœur s’ouvrir : elle monta prestement les marches, les rayons du soleil emplissaient désormais le corridor comme si on avait tiré sur le parquet un rideau brûlant.
- Aujourd'hui nous sommes assis sur ce banc. Dans deux semaines nous partagerons la même couche. Si des questions doivent être posées, il faut qu'elles le soient maintenant.
Dès qu'elle aurait poussé la porte, elle accepterait d'être comme eux : une bonne bête de plus au domaine, dressée par la main experte de Candre. Comme il avait été intelligent et sensible avec elle. Comme il l'avait attirée dans sa cage de sapins et de terre, de lierre et et de grosses fleurs, avec des mots qui ne ressemblaient pas à ceux des hommes mais à ceux de Dieu. Elle était prise.
Les grands événements se cachent des lumières vives, craignant d'être brûlés.
Aimée s’était habituée aux effluves de bois, elle s’en trouvait désormais rassurée ; comme on s’habitue au parfum d’une mère ou d’une nourrice, elle s’était remplis de ce fleuve invisible. L’air semblait avoir toujours reposé dans ce macérat d’herbe et d’écorces. Les jours d’orage l’odeur donnait le tournis, fatiguait les muscles, brouillait les idées. Les nuits passèrent vite et Aimée eut la sensation de n’avoir jamais connu d’autre parfum que celui des sapins, tout son corps tremblait de contenir ce que les bois laissaient derrière eux. Elle était pleine de la forêt.
la force ne se gagnait pas à la grande gueule mais à l'attente et au sang-froid
M. Laenens était gros, de toutes les parties du corps : ses fesses étaient larges, son ventre faisait un comptoir à ses coudes et sa tête tenait sur ses épaules sans qu’on discerne le début d’une nuque.