Aimée s’était habituée aux effluves de bois, elle s’en trouvait désormais rassurée ; comme on s’habitue au parfum d’une mère ou d’une nourrice, elle s’était remplie de ce fleuve invisible. L’air semblait avoir toujours reposé dans ce macérat d’herbe et d’écorces. Les jours d’orage l’odeur donnait le tournis, fatiguait les muscles, brouillait les idées. Les nuits passèrent vite et Aimée eut la sensation de n’avoir jamais connu d’autre parfum que celui des sapins, tout son corps tremblait de contenir ce que les bois laissaient derrière eux. Elle était pleine de la forêt.
Elle y pensait chaque jour, prisonnière de son grand chagrin.
- Ne parlez pas comme cela, vous me faites grand mal.
Pourtant, un doute persistait. A peine un frôlement. Mais elle le sentait en elle, quand la maison se taisait, que les arbres murmuraient, à la fenêtre. Elle entendait, dans cette discussion hors des hommes, une parole autre, du passé, elle en frissonnait et sa confiance s'évanouissait. une pièce du puzzle manquait.
Au bout d'un mois, le corps des hommes était, pour elle, comme un rosier, un insecte ou une couleur du ciel. Une jolie habitude, un spectacle recommencé, en surface de ses émotions tel un gros nénuphar aux feuilles sans relief, donc la fleur peinait à éclore.
Les premiers sanatoriums, ouverts une dizaine d’années plus tôt, faisaient parler d’eux : on envoyait les malades en montagne pour les habituer au paradis.
Elle dormit peu et mal. Au petit matin, ses draps glacés lui griffaient la poitrine, ses jambes et le ventre. Elle se sentait comme une plaie à vif qu’on passe au gros sel. Dans l’œil rond du mur, le vent jouait avec la glycine.
Les arbres chuchotèrent jusqu’à l’aube, car tout se passe toujours la nuit, les grands événements se cachent des lumières vives, craignant d’être brûlés.
"La douleur était une couverture gelée jetée sur elle, et qui, seconde après seconde, paralysait ses membres, empêchait sa pensé, obstruait sa voix."P.224
Candre connaissait la mort, il la côtoyait de près, depuis son enfance, il savait ce qu'elle vidait et remplissait, dans les os, dans la chair, sur la langue, et le trou qu'elle creusait, cette mort, en pleine poitrine. Il avait tendu les mains, bandé ses muscles, rentré ses épaules, prêt à en découdre une fois de plus, à prendre pour lui le chagrin de sa femme et elle le ressentait, là devant elle, ce vieillard de 30 ans, tout blanc de mort, tout plein de Dieu: il comprenait.