Citations sur Autorisation de pratiquer la course à pied (15)
Au bout du village, c'était la campagne où l'on disait qu'il n'y avait plus rien. Combien de fois ai-je entendu dire d'un terrain bâti qu'il "n'y avait rien ici, avant?" Il y avait pourtant tout, des arbres, des prés, des insectes, de l'eau, des bruits la nuit à vous faire dresser les poils. "Rien?" Et l'espace libre? À l'heure des espaces de tout, espace beauté, espace détente, espace loisir, comment pouvait-on vouloir détruire " l'espace espace? " Un lieu précieux, ni géré, ni surveillé, pas javellisé, où l'on sentait bien l'espace justement, la vie sans nous, où l'on pouvait encore se croire individu, unique, où l'on pouvait voir l'invisible.
Le divorce, c'était la guerre moderne, des nerfs, la propagande, les grands mots avec finalement que l'argent au bout, la négociation, l'amour entre les mains des comptables. Le prix des choses, on l'apprenait là, au tribunal, à tout recompter, les mots de travers, les sentiments qu'on aurait pas dû avoir, ou qu'on aurait dû avoir, c'était selon. C'était là, dans le tribunal éclairé comme une salle de chirurgie, qu'on vous disséquait enfin.
On a des pudeurs parfois. J'étais partagé. N'importe quelle fille assise là, devant moi, par le hasard, je l'aurais regardée bien en face, comme un garçon. Parce que j'aime bien les filles, et que j'aime bien qu'elles sachent qu'on les aime bien, nous les garçons. Pour l'ambiance. Mais comment regarder une fille handicapée pour lui signifier qu'un garçon est là, sans qu'elle pense que c'est son handicap qui provoque la curiosité ?
A l'adolescence déjà, le trac l'empêchait de sortir avec ses amis le soir. Sa mère, belle femme à l'autorité implacable, lui avait ôté, par abus de réprimandes, toute confiance en elle. L'alcool lui servit très tôt de bouée. Un garçon avisé et désireux de l'embrasser lui dit un jour qu'il la trouvait belle. Ce fut une révélation. Plus que l'amour, le compliment devint sa quête. Mais l'obsession de plaire, faute de succès, la conduisit à la souffrance.
Quand on tient à quelque chose, il faut faire gaffe. Il faut être délicat, concentré, patient et souple.
- Parce que çà y est, toi, tu n'es plus de gauche?
- Pas cette gauche là ! Par devant, c'est morale et droits de l'homme, mais par derrière, c'est les gosses dans le privé, loin des immigrés. Les quartiers bien protégés de la racaille et les vacances loin du peuple. Les immigrés sont les bienvenus en France, mais chez les pauvres, pas chez vous! Vous savez quoi? Vous vous êtes battus contre les frontières entre pays, çà faisait chic, mais vous vivez derrière de nouvelles frontières, invisibles celles-là, géographiques, sociales[...]
Et le mec qui vit vraiment avec ces Roms, ces immigrés, le seul truc que vous avez à lui dire, c'est : ne reste pas là ! Ne vis pas dans le même quartier qu'eux, voyons! Ah, vous me dégoûtez !
p190 (au livre de poche)
J'ai fait quelques pas, mais la peur m'a empêché d’aller plus loin. A mon âge, ça m'a étonné d'avoir encore peur, d'être dominé par l'imagination. Ça m'a fait plaisir. La peur, l'amour, je n'avais rien perdu.
A la fête que c'était nos retrouvailles, toujours, des plusieurs fois la semaine, ça ne nous gênait pas...Une tendresse à tout recommencer depuis le début, tout reconstruire, à repartir de la préhistoire.
On commença à la trouver ennuyeuse, voire mesquine, pire : raisonnable. On accusa son âge.
...mais il s'approchait parfois très près de cette frontière au-delà de laquelle le conseil devient reproche.