Mia Couto, de son vrai nom António Emílio Leite Couto, est un auteur mozambicain de langue portugaise, le Mozambique fut une ancienne colonie du Portugal jusqu'en 1975. C'est justement ce dont il s'agit dans ce roman dense et polymorphe, de la question de l'indépendance du pays, qui s'est déroulée non sans heurts, des pintes de larmes et sangs coulés, balles distribuées, corps entassés, d'hommes et de femmes trahis, vendus à l'ennemi, au nom d'une cause. Et de la mémoire de ceux qui sont passés au rouleau compresseur de la lutte entre colons portugais et le Front de Libération du Mozambique.
Le roman de
Mia Couto est une oeuvre assez complexe, un texte totalement éclaté ou alternent les chapitres de composition différente : les premiers incarnent le récit au présent de narration du professeur de littérature, Diogo Santiago, fils d'un des plus grands poètes du pays, Adriano Santiago, qui revient dans sa ville natale quelques jours avant le cyclone qui mettra Beira à genoux en 2019. Ce qui s'avère être une banale invitation de l'université, se transforme bien vite en une plongée dans le passé, dont tous les secrets restent encore soigneusement préservés. Jusqu'à l'arrivée de Diogo. C'est l'objet de cette seconde catégorie de chapitres, composés de différents extraits de correspondance ou de journaux. Cela par le biais d'une femme dont il fait la rencontre, Liana Campos, et qui elle-même recèle ses propres zones d'ombres. Diogo et Liana sont liés tout deux par un événement vieux de quatre décennies, l'arrestation du père du premier par le père de la seconde, alors inspecteur de la PIDE, la police politique de l'état fasciste. C'est d'abord la rencontre entre deux personnes dont les aïeux étaient officiellement opposants, la femme portant pour héritage la honte familiale d'avoir servi le colonisateur, Diogo étant le fils de l'homme chez qui se réunissait les « taupes blanches », groupe d'intellectuels et poètes qui avaient le but de faire tomber le gouvernement. Comme le goût pour la littérature, et l'exercice de la poésie, le passage de flambeau est symbolisé par la transmission des documents qui ont échappé au feu de la honte à l'héritier du poète, son fils.
C'est un roman très fouillé, qui enchevêtre une ribambelle d'histoires individuelles et l'histoire politique du Mozambique, où les chapitres qui rendent compte des témoignages de tous les protagonistes du passé de Diogo et son père font écho à la narration qui les implique, comme si un arbre déroulait ses branchages à l'infini, en laissant entrevoir ses innombrables ramifications. le tout ayant pour cadre la chute de l'état colonial, dont la PIDE était garante de la sécurité. Moins surprenant puisque l'on parle d'un pays colonisé, mais toujours aussi révoltant, il faut s'habituer à lire les relents de ce racisme pur et dur des autochtones, ceux qui ont le malheur d'avoir cette peau noire jusqu'à la prière même ou ces derniers sont affublés de cinquante Ave Maria contre trente pour les blancs. Chacun porte sa croix, et sa culpabilité aussi lourdement, et dans celle-ci il n'y a pas de distinction de race quand ce même prêtre noir, se veut délateur en chef de ses autorités coloniales.
Mia Couto a su dépeindre toutes les contradictions d'un pays asservi, qui dépasse cette fracture que la ségrégation a imposée – les taupes blanches sont effectivement blancs de peau, le prêtre collaborateur est noir – mais par la possession du pouvoir, ou du moins de l'appartenance à ses sphères, et à la classe dominante. Celle qui se complaît à toiser les colonisés depuis leur statut de notable. Et entre les dominés et les dominants, il y a comme d'habitude les intellectuels, les auteurs, les poètes, qui essaient d'apporter un sens au monde, de le changer, de rééquilibrer les forces en question.
Le texte pourvu une richesse historique et narrative indéniable à un point tel que l'on s'y perd parfois, il est agrémenté d'une recherche stylistique soignée et délicate, de celle dont on aurait envie de relever des phrases à chaque page. La poésie n'est donc pas seulement un des motifs de la trame narrative, elle articule le récit, d'un passé, d'une histoire, tous très tortueux, qui ont pu à certaines fois me laisser sur le côté de la route. Mais force est de constater à travers le destin du père de notre narrateur que la littérature possède un réel pouvoir qui menace, peut-être celui de la réflexion, de la remise en question, qui dérangent les fascistes de tous poils.
C'est un nouvel écrivain que je découvre ici avec la rentrée littéraire des Éditions Métailié, c'est une nouvelle fois une ouverture sur un pays dont je connaissais bien évidemment l'existence, mais qui n'est pas évoqué si souvent que cela dans le paysage littéraire qui est le nôtre. C'est un point du vu contrasté que
Mia Couto nous livre là d'un pays qui n'est pas encore prêt à faire face à son passé. Mais, encore une fois, l'histoire nous montre l'importance que revêt l'homme des lettres dès lors qu'il devient un opposant au pouvoir en place. Et s'il y a bien un dieu dans cette histoire, il n'est certainement pas dans les églises dévoyées par le régime, mais dans le pouvoir de création des poètes mozambicains.
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