Il comprenait que sa mère était malade, que l'accumulation compulsive était une atteinte psychologique, qui s'expliquait par un deuil inachevé ou autre blocage mental davantage que par un vulgaire consumérisme ou de la sentimentalité.
-Les interdictions de fumer de cette ville me donneraient presque envie d'arrêter.
El sortit un paquet de cigarettes de la poche de sa chemise et me sourit en s'asseyant.
-Presque.
-Tu te caches de la vie. Tu n'as pas de plaisir, pas de famille, pas de passion. Tu vends les choses des autres, mais tu finiras avec un cancer et tu me briseras le cœur.
-Tu sais ce qu'on dit des acteurs. Ils rient pour qu'on ne les voient pas pleurer.
- Je ne suis pas malheureux non plus. Résigné plutôt. La vie est comme elle est. On ne peut pas la changer, on ne peut pas abandonner la partie.
Mais tu peux éviter d'avoir à jouer trop souvent
- Bien sûr que si, on peut la changer. On peut faire mieux. Il faut trouver les mots justes, planter les bonnes fleurs.
Le propriétaire du dépôt-vente avait de si longues jambes et une foulée si impressionnante que je dus courir pour le suivre.
— Quel est votre nom ? demandai-je en tournant à un angle pour aller vers l’est de la ville.
— Emanuel. Mais on n’est pas dans La Petite Maison dans la prairie, alors ne vous avisez pas de me donner un surnom ridicule.
— Quoi ?
— Mes amis m’appellent El. Vous êtes du genre à péter un câble si je vous emmène dans un bar gay ?
— Non.
Je n’étais jamais allé dans un tel endroit, mais je n’étais pas opposé à l’idée.
— Mais je ne danserai pas.
Il rit.
— Extra. On sera deux.
Au bout de la rue se trouvait le Couvre-feu. Ce n’était pas le seul bar homosexuel du quartier des Lumières, mais c’était le plus bruyant.
Il tourna à l'angle de la maison de sa grand-mère et repéra l'amas d'objets hétéroclites entassés presque jusqu'au bord du porche, et cette vision immuable lui donna l'impression de n'être jamais parti.
Il savait que le "magot" de sa mère ne pouvait qu'empirer …
… Des merdes, des ordures qui auraient dû aller à la poubelle des années auparavant. Mais pas du point de vue de sa mère. Pour Patricia Rozal, rien ne devait être jeté.
« Qu’est-ce que tu fous ?
La question taraudait El alors qu’il regardait le charmant rouquin déjà ivre, et aussi sexy qu’hétéro, qui finissait sa première bière et acceptait la seconde avec insouciance. El se répétait qu’il s’amusait, rien de plus. Il était plutôt déconcerté, cependant, car il avait du mal à cerner Paul. Il s’ennuyait donc et le soûlait en attendant de voir ce qui allait arriver, pour passer le temps.
Mais il observait surtout les lèvres de Paul sur le verre et devait lutter contre l’envie de caresser les pommettes marquées et innocentes de ce dernier.
Oui, qu’est-ce qu’il foutait ? »