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Critique de 5Arabella


Le nom de Cyrano de Bergerac évoque surtout actuellement la pièce d'Edmond Rostand, qui s'est inspiré librement de la vie du personnage réel pour écrire son oeuvre, devenu une des pièces françaises parmi les plus jouées. le vrai Cyrano et Bergerac et ses écrits sont un peu dans l'ombre de la création théâtrale de Rostand, dont la pièce transforme énormément la vie de son modèle, même si certains éléments sont vrais (par exemple sa haine du comédien Montfleury). On cite néanmoins assez souvent L'autre monde ou États et empires de la Lune, surtout dans les écrits pré-curseurs de la science fiction. Ce livre est un fait une sorte de conte philosophique, qui exprime des conceptions libertines (au sens de libre pensée, qui remet en cause les dogmes établis, en particulier religieux) du monde, un manifeste matérialiste. Mais Cyrano n'a pas écrit que cela, il est entre autres, aussi l'auteur de deux pièces de théâtre, dont ce Pédant joué.

Cette pièce ne semble pas avoir été jouée du vivant de l'auteur, en tous les cas pas dans un théâtre public, l'allusion au mariage de Marie de Gonzague avec le roi de Pologne semblent situer sa rédaction en 1645 ou 1646. Elle a été publiée en 1654, mais des versions manuscrites circulaient précédemment, comme c'était souvent le cas pour les textes libertins, et elle semble avoir été très lues dans ces milieux. La première version imprimée a été quelque peu expurgée de certains éléments sulfureux, en particulier sur le plan religieux. Ces éléments sont une des raisons pour lesquelles elle était injouable à l'époque, le théâtre contre lequel une partie du clergé se déchaînait, et condamnait le caractère immoral, était particulièrement surveillé. La plupart de ces éléments nous sont difficilement compréhensibles aujourd'hui, comme le fait de faire des rapprochements entre des éléments bibliques et mythologiques (par exemple Thyeste et Josué); j'ai plus été frappée par l'affirmation « Copernic a dit vrai, ce n'est pas le ciel, en effet, c'est la terre qui tourne » (acte IV, scène VIII)  alors que la condamnation de Galilée est toute récente (1633). Donc malgré l'aspect comédie, voire farce de l'oeuvre, une dimension philosophique n'en est pas absente, même si elle peut nous échapper en partie.

La pièce reprend une intrigue des plus classique à l'époque, venue de la comédie italienne, qui elle-même s'est inspirée de la comédie antique : il s'agit d'amours contrariés de jeunes gens, qui grâce à un valet ingénieux vont surmonter les obstacles et épouser celles qu'ils aiment et qui les aiment, tout en tournant en ridicule un vieillard, il ne manque même pas un Capitan, un fanfaron ridicule. Mais le vieillard (le pédant du titre) a eu dans ce cas un modèle, Jean Grangier, principal du collège de Beauvais ou Cyrano a fait ses études. Il s'agit donc de la satire de ce personnage réel (mort lorsque Cyrano écrit son texte), avec qui Cyrano devait avoir des comptes à régler.

Ce qui fait l'originalité de la pièce, mais aussi sa plus grande difficulté de lecture, tout au moins pour le lecteur moderne, c'est la langage. Les propos de Grangier, mais aussi d'autres personnages plus ou moins instruits, sont truffés de citations latines, de « latinismes » d'allusions mythologiques ou bibliques, les tournures de phrases sont pour le moins complexes. Il y a aussi un personnage de paysan qui utilise à outrance du patois. le langage de Cyrano semble faire depuis le milieu du XXe siècle l'objet d'attentions particulières de la part de chercheurs en littérature, certains n'ont pas hésité à y voir un précurseur de jeux sur le langage du XXe siècle, et prêter à Cyrano l'intention de démontrer la puissance d'aliénation du langage, la maîtrise que l'on s'assure sur les autres par le langage, donc une dimension politique. J'avoue que j'ai trouvé cela surtout très difficile à lire, beaucoup de choses m'ont sans doute échappé, mais ce ne fut vraiment pas une partie de plaisir. J'avais eu beaucoup moins de difficultés à entrer dans les États et empires de la Lune. Ce texte est donc avant tout une curiosité, plus réservé aux spécialistes qu'au lecteur lambda.

Néanmoins, il a visiblement été lu à son époque par un certain nombre de gens, et pas des moindres : Molière a repris un certain nombre d'éléments, en particulier dans Les fourberies de Scapin. le plus visible est « Mais qu'allait-il faire dans cette galère » que tout le monde ou presque connaît. Au XVIIe siècle reprendre des choses chez d'autres écrivains était tout simplement une pratique courante, et il pouvait s'agir d'hommage, d'une forme de reconnaissance, cela montrait le rayonnement d'un auteur et de ses écrits.

On peut aussi évoquer Edmond Rostand : la fameuse tirade du nez trouve un précédent dans la pièce de Cyrano (ce qui montre que Rostand connaissait bien son oeuvre).

Je suis contente d'être venue à bout de ce texte, mais il n'y aucune chance que je le reprenne, cela m'a demandé trop d'efforts.
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