AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de audelagandre


« Femlandia » se déroule aux États-Unis, dans un futur proche. Après « Vox », et « QI », Christina Dalcher continue l'exploration d'univers chaotiques où l'existence des habitants de la terre a totalement changé, soit à cause de nouvelles règles mises en place, soit comme ici, à cause d'une crise économique sans précédent qui a placé les Américains dans des situations extrêmement précaires. Miranda a tout perdu, son train de vie, bien supérieur à la moyenne, son mari, et sa maison. Elle vit désormais avec sa fille Emma. Elles possèdent encore quelques boîtes de conserve pour subsister, mais rien de plus. Il faut partir, c'est la seule solution. Mais partir où ?

Face à ce monde devenu totalement anarchique, et dont la majorité est en proie aux plus vils instincts, un seul endroit leur assurerait une certaine sécurité. Un endroit où Miranda n'aurait jamais pensé devoir se rendre tant elle hait tout ce qu'il représente. « Femlandia », un lieu pour les femmes, exclusivement réservé aux femmes. « Imaginez un Disneyland pour femmes, a dit Jennifer sur scène. Un endroit pour nous, toutes — sans hommes, sans inégalités loin du cistème *. Juste entre nous, les filles. » Un endroit créé pour elles seules, autonome et souverain. Évidemment, la présence des hommes, ennemis de toujours y est proscrite. (cistème : personne cisgenre)

Ce paradis a été créé par la mère de Miranda, ce qui explique sans doute un peu l'appréhension de cette dernière à s'y rendre. (divergences d'opinions.) Mais, aujourd'hui mère, Miranda cherche une solution désespérée pour protéger sa fille Emma, et lui permettre de continuer sa vie dans une relative sécurité. Elle laisse le monde en feu, les êtres humains devenus des bêtes, l'insécurité et la faim derrière elles pour pénétrer dans cet endroit où elles vivront avec d'autres femmes en totale autarcie.

« Femlandia » ressemble à un paradis. En est-ce réellement un ? Derrière les cabanes bien arrangées, les femmes habillées d'un blanc immaculé, et les belles paroles se cachent des idées qui font froid dans le dos. Et pas seulement des idées, des actes aussi. Ici, la misandrie est la base : les femmes sont enfin débarrassées de ces messieurs qui au fond, ont été des tyrans, des êtres violents, des enfoirés qui ont rendu la vie des femmes invivable.

Sur le sujet, le point de vue de Miranda est d'ailleurs fort intéressant. En effet, elle était mariée à Nick qui lui a toujours offert une vie de princesse, bijoux, tenues vestimentaires luxueuses, voyages, séjours dans les palaces, et qui a fini par perdre tout l'argent du couple. On pourrait donc le qualifier d'enfoiré selon la définition appliquée à « Femlandia ». Et pourtant, malgré cette trahison, qui a eu des effets dévastateurs sur sa vie, et celle de sa fille, Miranda ne peut pas adhérer aux idées totalitaires de sa mère… À méditer.

« Femlandia » se décompose donc en deux parties. La première est une dystopie où le monde est touché par une grande dépression. La seconde concerne l'arrivée de deux femmes dans un Femlandia comme il en existe plusieurs autres sur le territoire. La première partie ne décrit pas comment nous en sommes arrivés là, et à la limite, ce n'est pas ce qui m'a le plus gênée, même si dans ce monde apocalyptique l'auteur n'hésite pas à évoquer la présence d'hommes, tous morts de faim, mais tous assimilés à des bêtes en rut. Oui, les hommes ne pensent qu'à baiser, c'est bien connu ! Dans la seconde partie, lors de l'arrivée de Miranda et d'Emma à « Femlandia », l'auteur aborde un sujet dont elle ne fera rien. Lors d'une fouille au corps, il est rappelé que les personnes transgenres, celles qui ont eu un jour un pénis, ne sont pas les bienvenues ici. En dehors de cette scène, on ne parlera plus jamais de cette thématique. C'est fort dommage, car cette transphobie ne s'explique pas réellement et est, somme toute, assez nauséabonde.

De plus, j'ai relevé un certain nombre de manques dans la narration qui aurait aidé à plus d'immersion, et de crédibilité dans l'histoire. Par exemple, le lecteur n'a pas le temps de plonger dans la vie en communauté à Femlandia. Quelques exemples sont donnés, mais ils concernent principalement les règles de vie, le système du travail basé sur les compétences et donc l'égalité de salaire, quelle que soit la profession, et les punitions en cas de manquement aux règles. Pour le reste, en dehors des deux arrivantes, et des trois protagonistes qui les suivent, on ne sait rien sur la vie dans cette communauté. Comme je vous le disais, plus haut, Miranda a de très grosses divergences d'opinion avec sa mère, Win, créatrice de ces centres. Très vite, après leur arrivée, et dans des circonstances que je ne révélerai pas, Emma se retrouve rapidement endoctrinée. On ne saura rien de la radicalisation de cette jeune fille, des méthodes employées, et des idées véhiculées pour la rallier à la cause. Enfin, les femmes vivant en ce lieu entendent chaque nuit le cri des coyotes. Si vous décidez de lire ce livre, vous verrez en quoi ces cris de coyote sont gênants et rendent le récit peu vraisemblable.

Dans « Femlandia », nous pénétrons dans un endroit où le féminisme, tel que je l'envisage à titre personnel, c'est-à-dire l'égalité et l'équité, n'existe pas. Nous avons affaire à une idéologie sectaire où les femmes ont décidé de se venger des hommes, et où la vie d'un homme, un autre être humain, ne compte absolument pas. Cela équivaut à dire qu'on ne les aide pas, en aucune circonstance, voire pire. Christina Dalcher se rapproche ici du Gilead de Margaret Atwood en inversant les forces en présence : les femmes ont pris le pouvoir, les hommes sont réduits à l'état d'esclaves au meilleur des cas. Et je ne parle même pas du sort des enfants mâles. Alors, quelle est la moralité que j'en retire à titre personnel ? Les femmes peuvent être aussi perverses et aussi sadiques que les hommes (tu parles d'un scoop !). Les femmes peuvent être aussi violentes que les hommes, voire plus cruelles qu'eux. L'abus de pouvoir n'est pas une question de sexe. le féminisme toxique, basé sur une supériorité de l'un par rapport à l'autre, prend de l'ampleur.

« Femlandia » aurait pu être un très bon roman. Il est simplement un bon roman. Me concernant, il manque trop d'explications et de densité pour que j'adhère totalement à l'histoire. Certes, il soulève des thématiques très intéressantes, mais pas assez approfondies. Christina Dalcher aurait pu aller au fond des choses, elle aurait pu développer certaines thématiques. Elle a choisi une autre voix, l'utopie féministe excessive qui ne fait pas la part belle aux femmes. « J'ai lu quelque part que l'utopie de quelqu'un est toujours la dystopie de quelqu'un d'autre. » Faites-vous votre propre avis et n'hésitez pas à venir en discuter.
Lien : https://aude-bouquine.com/20..
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}