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Citations sur L'indiscipline de l'eau. Anthologie personnelle, 1988.. (22)

MÛRE


parce que sa maturité est noire et que
ronde elle tient en équilibre instable
dans la paume ouverte le plus platement possible
et que le plus souvent, tout à côté d'une noire,
sans que celle-ci bouge et que la paume se
referme si peu que ce soit de peur de la blesser,
se déposent successivement une autre noire, plus
petite, plus retrite mais vraisemblablement
pas moins sucrée, puis une quasiment rouge,
pour le contraste des couleurs, cueillies
avec l'autre main au roncier cependant que les pieds
s'assurent maladroitement de la soumission temporaire
de ronces, de sorte que le corps tout entier
se tend en un effort inouï de
tendresse, la mûre
demande qu'on la désarme par l'art
du choix et des comparaisons, qu'on la
retienne dans le suspens d'une
caresse absolue, qu'on la goûte
entre plusieurs avant de la porter
directement sur la langue et de dresser le palais
contre sa chair et d'exprimer le jus dont la teinte violette
et noire s'imprime, indélébile,
sur la main

p.179-180
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Nommer Namur, IV - extrait
 
J'aime Namur pour ses rivières, ses deux rivières,
D’un côté la petite Sambre glaciale arrivant par le Nord et la vieille ville au pied d’une citadelle non moins glaciale.
De l’autre la somptueuse Meuse qui a rêvé longuement dans le schiste entre Givet et Dinan comme une héroïne mythologique pré-hercynienne.
La Meuse qui délibérément tourne le dos à Jeanne d’Arc et humecte nonchalamment ses drapeaux, ses enseignes.
La Meuse qu’on ne fera plus se dresser en armes fût-ce aux côtés d’une femme, fût-ce aux côtés d’une sainte.
La Meuse à la mémoire carolingienne qui s’en va d’un pas rhénan, d’un pas traînant vers une idéale orchestration symphonique avec le Rhin à Rotterdam.
 
J’aime à Namur que ces rivières, la Sambre, la Meuse, se nouent entre elles.
Se nouent ailleurs et autrement que dans un hymne.
Je les délie de leur devoir d’hymne.
Je les remets lentement à leur pente poétique.
Comment remettre de la circulation dans une rivière confisquée par un hymne ?
Laissez-moi l’expliquer.
Je la caresse longtemps.
Je la caresse infiniment longtemps.
Cela pourra durer plusieurs mois, plusieurs années, une vie entière.
Je caresse la rivière dans le sens de ses jambes faisant reprendre au sang le sens de l’eau, de l’aval.
Qu’on ne s’y trompe pas, cela n’a rien à voir avec de l’écologie, plutôt avec de la médecine.
Une médecine amoureuse.
Une médecine poétiquement amoureuse.
Qui consisterait à soigner les rivières ou les villes par la voix.
Ou réciproquement.
À cette nuance que prétendre faire passer toute une rivière comme la Meuse par sa propre voix en une seule fois tiendrait du gargarisme gargantuesque.
Emphatique.
Ne pas confondre emphase et empathie.
Non, je me soigne, je nous soigne aux rivières, à la fluidification fluviale.
Je voudrais que nous retrouvions dans la parole la fluidité.
Cette transparence fluide qui est comme la respiration de l’eau longtemps avant l’embouchure.
Et pour laquelle les fleuves du Nord semblent tellement avoir de facilité depuis toujours.
Dans leur modération peu torrentielle.
Égale à elle-même.
Leur faussement placide uniformité.
 
Je cherche non pas l’epos ancien secourable aux militaires et aux castes de soldats longtemps tenus écartés des femmes.
Je ne cherche pas la connaissance aiguë de Gilgamesh.
Je cherche le jeu long de l’insinuation amoureuse avec la voix.
L’insistante, patiente lenteur des effleurements vocaux sinueux comme des boucles de rivières au saisissement des roches, qui savent aussi être opiniâtres quand la roche fait obstacle.
Je cherche de nouvelles raisons pour l’eau de s’appuyer aux rives.
Je cherche de nouvelles appariades entre la parole légère courante et l’ouragan spontané du chant.
Je cherche un récitatif dans l’intime réciprocité des ciels et des climats.
Je cherche de nouvelles circonstances pour faire entendre sans la lever la voix dans le poème.
Qui est pourquoi nommer Namur m’enchante.
Comme de ne plus savoir tout à coup qui nomme qui, du verbe ou bien du nom.
Tant leurs frontières mutuellement se réfléchissent en une inépuisable méditation d’échos.
 
Nommer Namur.
Énamourer le nom.
Il n’est jamais de poésie que déclarative.
Il n’est de poésie que dans la déclaration d’amour que nous faisons aux noms aimés, par la parole ou par le chant.
Les noms ne sont aimés que dans l’amour.
Comme de la confluence soudaine, la confiance l’une à l’autre de deux rivières au cœur d’une ville après avoir longtemps séparément voyagé.
 
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Qu'est-ce qui nous fait
Tellement aimer
Une frontière ?
Pourquoi ce tremblement au
Moment de la traversée?
Comme lorsque vient le
Moment de conclure l'acte
Amoureux.
Comme lorsqu'on refoule l'air
Au fond de la poitrine pour
Laisser venir à soi l'émotion des
Deux corps.
Comme lorsqu'on s'éloigne
Courtoisement pour
Permettre aux
Chairs de débattre
De marquer leur territoire
Animal.
Comme s'il y avait terreur dans la
Territoire.
Comme s'il y avait terreur
Dans le mot"terre".


Extrait du poéme "Chimay ".
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«  L’opéra personne n’écoute personne,
C’est précisément cela être humain, n’écouter
personne
L’opéra les paroles imitent exagérément les
éléments du climat .
La tempête , la mer, le vent, les vagues déchaînées .
Il n’y a jamais d’aventure humaine sans
déchaînement.
C’est pourquoi je préfère la parole réelle de la mer .
À celle que croient imiter les hommes.
La musique du grand large .
Du lointain cosmos .
La quasi inaudible houle dont la mer seule donne
l’idée .
Que la musique transpose quelquefois d’un
glissement d’archet.
Jusqu’au plus aigu des cordes » .
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POSITION DU POÈME


il est assis
il a les genoux plies
il voit le monde
il voit des fleurs de trèfle blanches
il voit un toit de tuiles rouges
il voit un carré de ciel gris
il ne voit pas le monde
il est le monde à lui tout seul
il peut changer de place
il peut se lever
il pourrait s'éloigner de sa table
il irait dans la cuisine
parmi les couteaux métalliques
parmi les fourchettes acérées
parmi les casseroles bouillantes
il se couperait une tranche de monde
il mordrait dans le monde à belles dents
ici il voit le monde avec les doigts
il compte le monde sur un clavier
il écrit une partition
la partition s'appelle le monde
c'est une partition en sol mineur
en ciel majeur en tuiles diésées
en trèfle blanc
en genoux pliés…

p.19-20
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Nous sommes de la géographie en action. Les formes du paysage
nous parlent, nous dialoguons secrètement avec elles. Il y a
complicité entre les voyageurs que nous sommes et les contours de
la terre.
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BALCON EN FORÊT
AVEC DE LA NEIGE AUTOUR


Blanche évidemment.
Blanche comme seule la neige est blanche.
Blanche comme ne l'est jamais aucun papier d'aucune page.
Blanche comme un printemps universel.
Blanche comme l'automne qui remplacerait le printemps.
Toutes les fleurs de tous les cerisiers à terre.
Vite vite remontez à vos branches les fleurs c'est trop tôt.
Blanche comme une erreur blanche dans les saisons.
Blanche comme une programmation ratée de la pluie.
Blanche comme une belle erreur du ciel.
Blanche comme du bleu qui aurait déteint mais quelle surprise.
Blanche comme une montagne tout à plat.
Blanche comme une comparaison blanche.
Blanche comme le féminin de blanc.
Blanche comme le masculin avec de l'eau glacée.
Blanche comme une rivière en poudre.
Blanche comme la pureté imaginaire.
Blanche les nuits elles-mêmes parfois sont blanches.
Blanche comme du noir retourné à l'envers.
Blanche comme les plumes de mille oiseaux.
Des plumes d'oiseaux aux aiguilles des sapins.
Blanche comme des ailes qui sont inutiles.
Voler à blanc jamais ne pouvoir prendre essor.
Blanche comme des ailes infantilisées dans la patience.
Blanche comme des divisions d'anges en réserve.
Blanche comme du latin inactif au milieu d'une phrase française.
Blanche comme acies comme agmen d'armée défaite….

p.166-167
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LETTRES À HÉLÈNE

I


La beauté est la réalité.
L'inverse n'est pas sûr.
La beauté n'est pas réversible.
Elle est le sujet absolu.
elle ne tolère que vous, que moi.
Qui sommes ses serviteurs
Qui nous asservissons à nous-mêmes.
La beauté nous libère.
La beauté de l'amour est plus belle que la mort.
La beauté de l'amour nous libère de la mort.

                  *

Vous étiez devant moi à l'instant.
J'ai votre image devant les yeux.
Je la convoque elle vient docilement.
Vous n'êtes pas passivement passive.
Vous êtes nue, vous êtes la réalité.
Il n'y a plus rien au-delà de vous.
Je me le murmure à voix basse.
Vous êtes la prière avec adoration.

p.210-211
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    JACQUES D’AMIENS


…le silence s’achète avec une carte
vous déposez votre voix à l’entrée
s’il n’y a pas d’endroit où mettre votre voix
n’ayez pas la gorge nouée
se taire s’apprend
j’ai appris à me taire
tu as appris à te taire
elle n’a pas appris à se taire
ou plutôt elle ne dit rien
elle ne tient pas en place
elle n’avance pas dans sa lecture
son corps empêche ses yeux de passer
son corps est devant elle
elle ne le sait pas mais il est devant elle
elle ne voit que lui
l’homme qui est en face d’elle
l’homme qui est en face d’elle est son corps
je suis un livre dit-elle
je suis un livre vivant
j’ai des feuilles
et je marche
je suis une forêt qui marche
j’ai des cris
j’ai l’univers entier dans mes feuilles
j’ouvre
j’ouvre
intransitivement
j’attends qu’on m’ouvre
mets tes mains
jacques d’amiens...

p.24
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    JACQUES D’AMIENS
            Tant ai parlé que suis au lit,
            où on doit faire le délit
            JACQUES D’AMIENS (XIIIè siècle)


la bibliothèque bruit
la bibliothèque bruit d’un frisson de pages
quelques livres s’ouvrent
des dictionnaires s’ouvrent au verbe ouvrir
à la forme réfléchie
à la forme pronominale
la porte de la bibliothèque grince
il entre des jeunes filles
des femmes
des enfants qui vagissent
lorsqu’un enfant paraît l’édifice des livres s’écroule
les livres se rétractent
le silence est chagrin
le barbare est dans les runes
il y a des livres criant de vérité
si la vérité criait les bibliothèques seraient bruyantes
les enfants en entrant se boucheraient les oreilles
la vérité ne sortirait plus de la bouche des enfants
en entrant dans les bibliothèques les enfants resteraient
 bouche bée...

p.23
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