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Critique de Aelinel


De l'Histoire de l'Iran au XXème siècle, je ne connaissais que la Révolution islamique de 1979 grâce à la bande dessinée Persepolis de Marjane Satrapi. En effet, la proclamation d'une république islamique par Khomeini met fin à vingt-cinq ans de règne du Shah Mohammad Reza Pahlavi et exile ce dernier. Ce qui m'avait interpelé dans la BD de Marjane, c'était la condition des femmes qui s'était radicalement détériorée avec l'avènement du nouveau régime, le règne du Shah étant présenté comme plus permissif et en faveur de la libéralisation des femmes. En réalité, avec la lecture de ce roman, L'oiseau captif qui se déroule vingt-trente ans auparavant, les choses sont beaucoup plus complexes.

Forough Farrokhzad est née dans une famille privilégiée dont le père est un militaire, proche du régime du Shah, à Téhéran. Très tôt, la petite fille apprend à ses dépens que ses droits dûs à sa condition féminine sont bien plus restreints que ceux de ses frères. Ces derniers peuvent sortir dans la rue comme ils le veulent ou continuer leurs études alors même que cela est refusé à Forough. Sa colère et le sentiment d'injustice qui l'habitent deviennent les principaux terreaux de son écriture et de sa plume si particulière. Forough que l'on souhaite faire taire, que l'on marie dès seize ans pour réprimer son caractère turbulent et éviter le déshonneur sur la famille, bouillonne intérieurement et rêve d'une vie qu'elle entend mener comme elle l'entend. Mais, les carcans de la société iranienne sont si étriqués que Forough paiera très cher ses désirs de liberté et d'indépendance…

L'auteure d'origine iranienne, Jasmin Darznik explique dans une note à la fin de l'ouvrage comment elle a connu cette fameuse poétesse qui avait tant fait scandale dans l'Iran des années 60 mais était aussi devenue une figure de proue du féminisme. En effet, la famille de Jasmin est partie aux Etats-Unis peu avant la Révolution de 1979 emportant avec elle seulement deux valises dans une desquelles se trouvait un petit recueil de poésies de Forough. Cette écriture si libre et si percutante a tant fasciné Jasmin depuis qu'elle est toute petite qu'elle a suivi les traces de la poétesse jusque dans ses études de littérature iranienne. Malheureusement, les sources peu nombreuses ont manqué à l'auteure dès le début de la rédaction de L'oiseau captif. En effet, la famille de la poétesse a fait disparaître tous les journaux de Forough après sa mort, désirant ne pas attirer l'attention sur elle lors des temps troublés qui ont suivi la Révolution islamique de 1979. Jasmin s'est donc basée sur l'oeuvre littéraire de la poétesse (Le captif paru en 1955, le Mur en 1956 et La rébellion en 1958), sur des ouvrages d'historiens (A Lonely woman de Michael C. Hillman publié en 1980 et Forough Farrokhzad : A literary biography de Farzaneh. M. Milani en 2016) mais s'est également documentée sur le contexte historique. Et en cela, L'oiseau captif est vraiment réussi car Jasmin Darznik est parvenue avec une facilité déconcertante à redonner une voix à Forough, à nous livrer ses pensées les plus intimes et à la faire revivre en quelque sorte.

Comme je le disais en introduction, la société sous le régime du Shah des années 50 et 60 n'a pas été aussi permissif que la bande dessinée Persépolis l'avait laissée entendre bien que les choses se soient effectivement empirées après 1979. En effet, les femmes étaient « éduquées » avant tout pour être de bonnes épouses et de bonnes mères. Il était donc « inutile » que la jeune fille poursuive des études, sa seule virginité avant le mariage devait être un indicateur de sa bonne réputation. S'ensuit dans le roman, une scène absolument hallucinante de Forough emmenée de force par sa mère dans un quartier malfamé de Téhéran. En effet, surprise en train de boire un verre dans un bar à Téhéran avec son cousin, sa réputation a été compromise. Afin de préserver l'honneur de la famille, Forough a dû alors prouver qu'elle n'avait pas perdu sa virginité grâce à l'obtention d'un certificat. Et une fois mariée, il eut été vain de se croire « sauvée »! Se promener seule dans les rues sans mari était un gage de moeurs légères, quant à voyager seule… Il était de plus quasiment impossible d'exercer un travail, alors se faire publier, n'en parlons même pas! Et pourtant, Forough s'est battue non sans mal contre ces carcans qui entravaient sa liberté et son indépendance, ce qui lui a valu autant l'admiration que l'opprobre.

Dans L'oiseau captif, Jasmin Darznik nous livre un portrait fort et émouvant de cette poétesse iranienne, Forough Farrokhzad. Je ne la connaissais absolument pas et je me rends compte qu'elle aurait très bien pu faire partie de ces femmes d'exception présentes dans les deux tomes de la bande dessinée, Culottées de Pénélope Bagieu. Bref, je ne peux donc que vous conseiller ce roman.
Lien : https://labibliothequedaelin..
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